Actualités

Le pari gagné des frères Herrick et du docteur Murray

22 décembre 2004, Le Figaro

Ils ont, à eux trois, écrit l’une des pages les plus audacieuses de l’histoire médicale récente. Ce 23 décembre 1954, dans son hôpital de Boston, le docteur Joseph Murray pratique sans filet une greffe de rein qui, contrairement aux tentatives précédentes, ne débouchera pas sur un rejet. Et pour cause : le donneur sur lequel l’organe a été prélevé est le frère jumeau du receveur – un malade que ses graves problèmes néphrétiques menaçaient d’emporter à tout moment. Leur parfaite compatibilité tissulaire permet, pour la première fois, à un greffé rénal de survivre plus d’un an après l’opération. Succès qui, en stimulant la recherche, ouvrira la voie à la mise en oeuvre de nombreux types de transplantations.

Lorsque le hasard le met en présence des frères Herrick, courant 1954, Joseph E. Murray planche depuis deux ans déjà sur un projet de transplantations de rein. Ce chirurgien, qui s’est distingué pendant la Seconde Guerre mondiale en reconstruisant des blessés gravement brûlés ou mutilés, travaille à prélever des reins sur des chiens avant de les leur réimplanter. Son objectif : peaufiner la technique chirurgicale avant de pouvoir régler le problème de la compatibilité tissulaire.

Avant lui, en effet, plusieurs équipes ont tenté, en vain, de greffer des organes – lesquels ont systématiquement été rejetés par le système immunitaire des receveurs. “Or soudain, sur le pas de notre porte, nous avons trouvé deux jumeaux identiques, se souvient Joseph Murray (1). L’un était en train de succomber à une maladie des reins et l’autre était sain. C’était la configuration idéale pour un transfert à l’homme de nos résultats de laboratoire.”

Avant de faire le grand saut, le chirurgien multiplie les précautions. Pour vérifier que les deux hommes sont bien de vrais jumeaux homozygotes – seule façon de garantir leur parfaite histocompatibilité -, il compare leurs empreintes digitales après les avoir fait relever à cet effet par la police de Boston. De surcroît, il commence par greffer sur le receveur un lambeau de peau prélevé sur son frère afin d’exclure tout risque de rejet. Quant à Richard Herrick, le malade, et à son frère Ronald, alors âgés de 23 ans, ils n’hésitent guère : “Bien sûr, nous savions qu’une telle chose n’avait jamais été faite, raconte Ron, aujourd’hui âgé de 73 ans. Mais nous sentions très fort que ça allait marcher.”

De fait, l’opération, qui dure cinq heures et demie, est un succès. Pourvu d’un rein en état de fonctionnement, Richard Herrick peut commencer une nouvelle vie. Dans la salle de réveil de l’établissement, Richard fait en effet la connaissance de Clare, cadre infirmière qui, n’ayant rien prévu pour les vacances de Noël, a accepté de veiller sur le miraculé. Une fois sorti de l’hôpital, il l’épousera et ils auront deux enfants – appelés à devenir respectivement enseignant et… infirmière dans un service de dialyse rénale. Richard Herrick, lui, mourra huit ans plus tard sous l’effet d’une nouvelle maladie rénale, sans lien avec la greffe.

Quant à Joseph Murray, l’un des pères de la transplantation, il a poursuivi sa carrière de chirurgien en se concentrant sur les greffes rendues possibles par l’avènement des traitements immuno-suppresseurs. Ceux-ci permettent de réaliser des transplantations, même lorsque donneur et receveur ne sont pas totalement compatibles. Grâce, entre autres, à ses travaux, plusieurs centaines de millions de greffes ont ainsi été pratiquées à travers le monde au cours des cinquante dernières années. Un pas en avant qui lui a valu de partager en 1990 le prix Nobel de médecine avec un autre pionnier de la transplantation – spécialisé dans les greffes de moelle osseuse -, Donnall Thomas.

(1) Dans le cadre d’un entretien récemment accordé à l’organisation New York Organ Donor Network.

Partagez

Plus de lecture

Répondre

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *