Actualités

L’hémodialyse quotidienne : Une révolution dans le traitement de l’insuffisance rénale

22 janvier 2004, le Quotidien du Médecin

Proposée dès 1967 par l’Américain De Palma, la méthode d’hémodialyse quotidienne a acquis ses lettres de noblesse en Europe au cours des années 1980-1990 grâce à l’Italien Buoncristiani, le Suédois Kjllestrand et le Français Jules Traeger. Son apport dans la prise en charge des patients vient d’être reconnu au symposium Présent et futur de l’hémodialyse quotidienne, à Lyon.

C’EST le Pr Jules Traeger, ancien patron de l’école néphrologique lyonnaise, qui a ouvert, le 15 janvier, le congrès Présent et futur de l’hémodialyse quotidienne, qui s’est tenu à Lyon devant un parterre international de plus de deux cents néphrologues. Le Pr Traeger a rappelé dans son introduction avoir partagé avec l’Américain Scribner, de Seattle, au début des années soixante, l’aventure pionnière des premiers traitements par hémodialyse. Alors que la fréquence des séances était initialement d’une par semaine, elle devait rapidement évoluer à trois séances hebdomadaires au milieu des années 1970.

Pourquoi alors s’est-on arrêté à cette fréquence trihebdomadaire, s’interroge le Pr Traeger ? La réponse semble être qu’une amélioration clinique significative des patients urémiques n’était obtenue que lorsqu’on passait de deux séances hebdomadaires de douze heures à trois de huit heures. Les patients ne développaient plus de polynévrite urémique invalidante, avaient une transformation rapide de leur état nutritionnel, un meilleur contrôle de leur hypertension, une survie immédiate améliorée, etc.

Risque cardio-vasculaire.

Quand l’Italien Cambi proposa au début des années 1970 de réduire le temps des séances de huit à quatre heures, ce fut d’abord pour améliorer la contrainte imposée par un traitement nocturne et pour permettre à un plus grand nombre d’insuffisants rénaux de bénéficier de la dialyse de jour. On s’aperçut, en revanche, dès le début des années 1980 que la fréquence de trois séances de quatre heures par semaine ne convenait pas à tous les patients. Environ 30 % conservaient des prises de poids élevées entre les séances (parfois plus de 8 kg), à l’origine d’hypertension artérielle réfractaire aux traitements pharmacologiques et de cardiopathie par surcharge volémique d’évolution rapidement péjorative. Certains avaient également une hyperphosphatémie réfractaire aux chélateurs des phosphates alimentaires, à l’origine d’hyperparathyroïdie secondaire et de développement de calcifications tissulaires et vasculaires. Les néphrologues s’habituaient à souligner dans les congrès ou publications internationales que la population des patients urémiques dialysés avait un risque de mortalité cardio-vasculaire dix ou vingt fois plus élevé que les personnes non urémiques de même âge.

Le Pr Guiseppe Piccoli, de Turin, se demande alors pourquoi seulement trois cents patients sur le million de dialysés à travers le monde bénéficient aujourd’hui de l’hémodialyse quotidienne (six séances hebdomadaires de deux heures) ?

Résultats surprenants.

Tous les travaux cliniques réalisés par les équipes pionnières de Lyon (Pr J. Traeger et Dr R. Sibai-Galland), de Turin (Prs Giorgina et G. Piccoli) et de Pérouse (Pr U. Buoncristiani), en Italie, d’Utrecht (Dr M. Kooistra), aux Pays-Bas, de London (Pr R. Lindsay), au Canada, s’accordent pour reconnaître à cette méthode de dialyse des résultats tout à fait surprenants. Elle permet de contrôler l’hypertension artérielle du dialysé et d’arrêter très souvent le traitement antihypertenseur. Elle s’accompagne d’une régression de l’hypertrophie ventriculaire gauche, voire d’une amélioration spectaculaire de défaillances graves de la fonction cardiaque. Elle permet très souvent un meilleur contrôle de l’hyperphosphatémie. Ces trois situations pathologiques sont des facteurs majeurs et indépendants de risque de mortalité cardio-vasculaire.

De plus, les patients traités par cette méthode de dialyse voient leur état nutritionnel s’améliorer de façon significative. Ils retrouvent très vite un poids de « forme » et les indicateurs biologiques de la nutrition (albuminémie, préalbuminémie, taux de génération de l’urée) se normalisent. Ils ont une qualité de vie indiscutablement meilleure qu’auparavant, parfaitement bien constatée par des méthodes d’analyse reconnues au plan international (SF 36, Qualy).

Deux heures, six fois par semaine.

Ne faire que deux heures d’hémodialyse à chaque séance, six fois par semaine, permet de prévenir les symptômes d’intolérance qui apparaissent généralement dans les deux dernières heures du traitement conventionnel (fatigue, crampes, hypotension), ce qui favorise le maintien d’une vie professionnelle ou privée de bien meilleure qualité.

On peut donc raisonnablement penser que les futures études prospectives multicentriques qui vont se mettre en place en France et à travers le monde démontreront que les insuffisants rénaux insuffisamment traités par l’hémodialyse conventionnelle et traités par hémodialyse quotidienne courte auront non seulement une espérance de vie améliorée, mais une qualité de vie et un état nutritionnel retrouvés.
Les vingt-deux régions sanitaires françaises vont travailler d’ici à septembre 2005 à la rédaction d’un nouveau schéma d’organisation sanitaire, ou Sros, de 3e génération. La prévention et le traitement de l’insuffisance rénale font partie des thèmes retenus par les agences régionales de l’hospitalisation des vingt-deux régions françaises.

Cette nouvelle méthode de dialyse doit désormais figurer à côté des autres stratégies de traitement que sont l’hémodialyse conventionnelle, en centre, en unité médicalisée, en autodialyse ou à domicile, l’hémofiltration et la dialyse péritonéale. Il serait en effet anormal, compte tenu du bénéfice vital que peuvent en tirer 30 % des insuffisants rénaux dialysés, que cette nouvelle méthode ne figure pas dans les futurs Sros et dans la nouvelle tarification à l’activité.

Des autorisations temporaires.

La communauté néphrologique présente au congrès de Lyon, ainsi que des représentants médicaux des ARH d’Alsace et des Pays de la Loire, qui ont déjà donné des autorisations temporaires, sont unanimes pour demander que les autorités sanitaires françaises reconnaissent aujourd’hui l’intérêt de cette méthode de dialyse quotidienne pour la population dialysée qui en relève et lui attribuent le douzième forfait national dans le cadre de la prise en charge financière de l’insuffisance rénale par la nouvelle tarification à l’activité.

Les études économiques réalisées tant en France (Lyon, Strasbourg) qu’au Canada (London) montrent que le coût direct de cette méthode est supérieur de 30 % à l’hémodialyse conventionnelle réalisée à domicile ou en autodialyse, mais est inférieur à celui de l’hémodialyse en centre. Il reste à évaluer les bénéfices sur les coûts indirects que représentent la fréquence des hospitalisations, les arrêts de travail, les coûts de transport, la contre-indication temporaire à une greffe rénale, etc.

Dr PIERRE SIMON
CHG de Saint-Brieuc.

Le risque cardio-vasculaire

Pour la première fois, en France, le nombre exact de patients insuffisants rénaux traités par dialyse est connu : 30 882 en juillet 2003 selon l’enquête Cnam. Dans cette population, un patient sur trois conserve, malgré un traitement par hémodialyse conventionnelle (quatre heures trois fois par semaine), un ou plusieurs facteurs de risque vasculaire qui engagent le pronostic cardio-vasculaire à cours ou à moyen terme.

Ces facteurs de risque sont la persistance d’une hypertension artérielle, le développement d’une hypertrophie ventriculaire gauche, le mauvais contrôle de l’hyperphosphatémie avec un produit Ca x P supérieur à 5. Depuis plus de trente ans, la mortalité cardio-vasculaire reste très élevée chez le patient dialysé, le risque étant de cinq à vingt fois plus élevé que chez une personne non urémique de même âge.

Premiers résultats en France

Plusieurs équipes françaises ont déjà utilisé pendant plusieurs mois l’hémodialyse quotidienne dans le but de sauver des patients dont l’état clinique devenait préoccupant. C’est ainsi que des équipes médicales de Clermont-Ferrand, Lyon, Nancy, Strasbourg, Paris, Pontoise, Saint-Brieuc, Nantes ont rapporté les résultats obtenus chez plus de cinquante patients traités au cours des trois dernières années. Tous ont montré des résultats similaires à ceux présentés par les équipes pionnières. La reconnaissance de cette méthode et l’encadrement de ses indications par les autorités sanitaires permettraient ainsi à un plus grand nombre de patients français d’en bénéficier.

Partagez

Plus de lecture

Répondre

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *