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Le succès des greffes malgré la pénurie

24 mars 2004, Viva

Prouesse il y a encore peu, la greffe d’organes est de mieux en mieux maîtrisée, mais la pénurie de greffons pénalise les malades. Leur vie dépend souvent de la générosité de familles plongées dans le deuil. Médecins, infirmières, personnes greffées s’attachent à promouvoir ce geste vital.
Gauthier, un petit garçon de huit ans, sportif, heureux, n’a plus besoin depuis cinq ans d’être nourri par sonde. A trois ans, après une attente de trois mois, grâce à une famille anonyme qui a accepté le prélèvement de l’organe sur l’un des siens, il a bénéficié d’une greffe du foie.

Pour l’Association pour le don d’organes et de tissus humains (Adot) [1], son histoire vaut témoignage : donner un organe, c’est donner la vie. Elle souligne aussi que la technique de la greffe est de mieux en mieux maîtrisée : les traitements du système immunitaire, que l’opéré doit suivre à vie, limitent les rejets de greffons, fréquents jusque dans les années 1960, et permettent d’en pratiquer de plus en plus.

Chaque année, ce sont 3 600 malades qui en bénéficient, dont 60 % pour une intervention sur les reins, 25 % sur le foie, 9 % sur le cœur, 3 % sur les poumons, 2 % sur le pancréas et 1 % sur les intestins ou pour des interventions conjointes cœur-poumons. Si les risques de rejet ne sont jamais considérés comme totalement éliminés, dans 60 à 80 % des cas la survie à cinq ans est assurée.

Plus fréquente aujourd’hui, ce n’est cependant pas encore demain que la greffe d’organes deviendra courante. « La technique est maîtrisée, mais la pratique reste exceptionnelle », explique le Dr Edgar Menguy, responsable au Chu de Rouen de la coordination des prélèvements et des greffes (voir reportage p. 7). « Nous manquons de tous les organes, plus particulièrement de poumons et de reins », insiste le Dr Jacky Claquin, du Chu du Kremlin-Bicêtre, chargé de superviser pour l’Ile-de-France le prélèvement et la répartition des organes. Ces deux médecins réanimateurs travaillent pour l’Etablissement français des greffes (Efg) [2], chargé par le ministère de la Santé, en 1994, de rationaliser l’activité de transplantation.

Liste d’attente et manque d’organes

« L’important, c’est d’aller vite », souligne le Dr Claquin. Les organes sont prélevés sur des personnes en état de mort encéphalique, au cerveau totalement détruit, mais dont le cœur et la respiration sont maintenus artificiellement en activité. Après un traumatisme crânien, un accident vasculaire cérébral, un suicide ou un accident de la route, les victimes arrivent dans les services d’urgences ou de réanimation. Ceux-ci sont reliés au centre de coordination des prélèvements et des greffes, qui repère les donneurs potentiels. Il consulte ensuite le service régional de répartition des organes (3), qui connaît les besoins des équipes de transplantation et attribue les greffons selon des critères de priorité (d’abord les enfants de moins de 16 ans, par exemple), d’urgence médicale, de compatibilité et d’inscription sur la liste d’attente.

Pour efficace qu’elle soit, cette organisation n’empêche pas la pénurie d’organes. En 2002, 10 000 malades étaient en attente de greffe et plus de 200 sont décédés faute d’intervention. Dans le même temps, 1 100 personnes en état de mort encéphalique étaient prélevées. Nettement insuffisant quand, hormis les greffes du rein et du foie, possibles à partir de donneurs vivants, l’essentiel des transplantations provient de donneurs morts.

Une enquête menée en 2003 dans les services de réanimation des hôpitaux de Rouen et du Havre montrait que, si 77 % des personnes décédées étaient des donneurs potentiels, 46 % n’avaient pas été signalées comme tels. A ces médecins insuffisamment formés s’ajoutent des Français réticents : 30 % d’entre eux refusent les dons (contre 20 % des Espagnols), un des taux les plus forts d’Europe. Une attitude que les pouvoirs publics essaient de changer : depuis trois ans se tient en juin une Journée nationale du don d’organes. La quatrième édition aura lieu le 22 juin prochain

Car rien ne sert à l’Ile-de-France, par exemple, d’afficher un record d’offres sanitaires – avec 11 équipes de greffe du rein et 8 équipes de greffe du foie, contre une seule dans la Région Nord-Pas-de-Calais, par exemple – si la réalisation d’une greffe n’est pas plus rapide qu’ailleurs, faute d’organes. Les délais y sont même plus longs, et contraignent les associations et les malades à comparer les temps d’attente d’une Région à l’autre.

La ligne ténue entre la vie et la mort

Ce constat contraste avec la générosité sollicitée auprès de familles plongées dans la réalité de deuils brutaux.
Caroline, consultée immédiatement après la mort de son mari, a dû vaincre ses résistances. « Nous étions tous les deux favorables au don, reconnaît-elle. Mais, le jour où ça vous tombe dessus, c’est difficile à assumer. » La loi de 1994 a cherché à épargner aux proches les cas de conscience. Tout adulte qui n’aurait pas spécifié son refus dans le Registre national des refus, tenu par l’Efg, est supposé consentir au don. Une vérification doit toutefois être effectuée auprès de la famille. Nuance d’importance : ce n’est pas sur sa propre position qu’on l’interroge, mais sur celle que le défunt aurait souhaité adopter.

Claire Boileau et Patrick Baudry, respectivement anthropologue et sociologue, ont étudié, à la demande de l’Efg, les raisons du refus. Ils assurent que, dans bien des cas, l’expérience de la disparition subite d’un proche, les conflits intrafamiliaux et la crainte d’un morcellement du corps augmentent la confusion angoissante entre la mort et la vie. Dans la cour d’honneur du Chu de Rouen, un ginkgo, arbre sacré en Chine et au Japon, où il fut le seul végétal à survivre au bombardement de Hiroshima, s’enracine depuis le printemps dernier. Comme un remerciement aux donneurs et une promesse de vie renouvelée aux malades.

Marianne Rolot

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