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1er Colloque France-Maghreb à Marseille : Le Maghreb veut développer les greffes

13 octobre 2003, Le Quotidien du Médecin

L’Etablissement français des greffes et l’Assistance publique-Hôpitaux de Marseille ont organisé deux journées de colloque avec les représentants d’Algérie, du Maroc et de Tunisie pour débattre de la coopération en matière de greffes d’organes et de la volonté des pays du Maghreb de développer ces techniques médicales, malgré les obstacles culturels et financiers.

Les pays du Maghreb constatent que le nombre d’insuffisants rénaux chroniques ne cesse d’augmenter, et avec eux les demandes de dialyse et les coûts entraînés par cette prise en charge.

Aussi, depuis plusieurs années, dans le cadre d’un programme de coopération soutenu par le ministère français des Affaires étrangères, l’Etablissement français des greffes (EFG) contribue au développement des greffes d’organes et de tissus dans les pays du Maghreb qui lui en ont fait la demande. Il peut notamment apporter son expérience dans la construction des réglementations, préalable indispensable à toute activité de greffe, et favoriser des partenariats entre établissements hospitaliers pour la formation des professionnels de santé et l’expertise. Les médecins de l’Assistance publique de Paris et de celle de Marseille travaillent avec leurs homologues de différents pays, dont ceux du Maghreb, depuis plusieurs années.

Au Maghreb, les programmes actuels concernent essentiellement, pour le moment, la Tunisie et le Maroc (des accords avec l’Algérie sont en cours) et ont pour priorité le développement de la greffe rénale et des greffes de tissus, cornées notamment.

En Tunisie, où la première greffe de cornée a été réalisée en 1948, les textes réglementaires étaient, à l’origine, très laconiques, et ne concernaient que les prélèvements sur cadavres. Mais une loi sur le consentement présumé de l’individu et de sa famille a favorisé la mise en place de réseaux bien structurés pour les prélèvements. Un protocole de coopération avec l’Assistance publique de Marseille a permis de développer les greffes hépatiques, de créer une banque de tissus et d’ouvrir le Centre national pour le développement de la transplantation d’organes. Ce pays a réalisé 930 greffes de cornée en 2002, soit 93 par million d’habitant, l’un des chiffres les plus élevés du monde, comme l’a souligné, lors du colloque, le Pr Ayed, directeur du centre, qui souhaite que, à leur tour, les greffes rénales puissent désormais se multiplier : « Il ne s’agit pas de soins de luxe, mais de besoins de la population car les soins de dialyse sont coûteux. »

Médecins bénévoles

Les pouvoirs publics en semblent convaincus, la plupart des médecins aussi, mais différents intervenants au colloque ont souligné la difficulté de s’appuyer sur des médecins mal payés : c’est bénévolement, en dehors de leur exercice habituel, qu’ils effectuent le travail de repérage des patients en état de mort cérébrale, vérifient les possibilités médicales et légales et transmettent les indications au centre pour le développement de la transplantation qui coordonne prélèvements et greffes.

S’ajoute à cela une certaine résistance de la population, apparemment commune aux différents pays du Maghreb, et que la Tunisie s’efforce de vaincre en organisant une fois par an une journée nationale de sensibilisation au don d’organes et en multipliant toute l’année les campagnes d’information auprès de publics ciblés.

« Les faiblesses structurelles et chroniques des ressources budgétaires dont souffre la santé publique au Maroc, l’absence de couverture sociale généralisée constituent des obstacles sérieux à la promotion des thérapies de remplacement », estime un néphrologue du CHU de Casablanca. Mais les autorités sanitaires semblent vouloir se donner les moyens d’y remédier. Le Pr Zaïd, président du Conseil consultatif de transplantation du Maroc, rappelle que la première greffe de rein a été réalisée en 1986 et que des équipes bien formées sont prêtes à multiplier les pratiques de greffe (une trentaine de transplantations rénales par an, toutes par donneur vivant apparenté).

Mais là aussi, on manque de greffons. « Chez nous, le rapport avec la mort est immédiat ; les proches ne peuvent penser à autre chose qu’à exprimer leur douleur et recherchent à ce moment-là des personnes qui leur témoignent de la compassion. Ils acceptent mal celles qui viennent leur demander d’amputer le défunt. De plus, la tradition fait qu’on s’empresse de procéder à l’enterrement, ce qui laisse peu de temps aux médecins », explique le Pr Zaïd, en suggérant de faire appel à des psychologues pour approcher les familles et d’encourager par ailleurs le don par des personnes vivantes.

Lutter contre les trafic

En Algérie, où la première greffe rénale a été effectuée en 1986 et se structure depuis peu sous la poussée des autorités sanitaires, les prélèvements sur cadavres restent également très limités, tant pour des raisons d’organisation que pour des raisons éthiques. Le Pr Mekkaoui souligne que ces blocages ne sont pas d’origine religieuse, mais qu’il importe tout de même de rassurer les familles sur ce plan.

Aux raisons humanitaires, financières et médicales – une activité comme celle des greffes « tire vers le haut l’ensemble des activités médicales », estime le Pr Ayed – qui poussent les différents pays du Maghreb à promouvoir le don d’organe, s’ajoute une volonté de lutter contre les trafics. « Tout ce qui est rare est cher », rappelle le Pr Mekkaoui.

Cependant, les populations du Maghreb semblent sensibilisées au problème ; elles redoutent l’exemple de certains pays d’Asie ou d’Amérique latine connus pour leurs trafics sordides ou tout au moins par les problèmes médicaux engendrés par les greffes « sauvages ».

L’encadrement de cette activité devrait éviter les pratiques parallèles en les mettant hors la loi. Prélèvements et greffes nécessitent en effet des équipes et des lieux médicaux qui ne peuvent passer inaperçus et limitent les pratiques illégales là où existe une réglementation. Pour éviter toute dérive mercantile, plusieurs participants ont insisté sur la nécessité de maintenir ces activités dans la sphère de la santé publique. Avec ce problème : les directives de la Banque mondiale et du FMI qui, dans le cadre de la réorganisation mondiale du commerce, obligent les pays en voie de développement à diminuer leurs dépenses et les aides publiques, y compris en matière de santé, laissent de plus en plus le champ libre au secteur privé mercantile et à sa part d’ombre. Des intervenants ont mis en garde certains pays comme l’Egypte, qui commence à procéder à la privatisation des greffes.

A propos de l’Organisation mondiale du commerce, le Dr Jacques Pinel, de Médecins sans Frontières, a souligné le danger de considérer les médicaments comme de simples produits de consommation régulés par la loi du marché, de l’offre et de la demande. Plusieurs intervenants maghrébins ont évoqué le problème du coût des immunosuppresseurs et la difficulté d’obtenir des produits génériques. L’assouplissement autorisé par les derniers accords internationaux devrait toutefois permettre au Maroc de passer un accord avec des laboratoires indiens, ce qui permettra de diminuer de 45 % les dépenses de traitement lié aux greffes.

Les participants au colloque ont insisté sur la nécessité de maintenir la gratuité du don d’organe et se sont félicités des positions de la France et de l’Allemagne dans les discussions européennes préalables à une législation en la matière, car les pays avancés dans la voie des greffes ont une large influence sur ceux qui commencent à organiser cette activité.

Françoise CORDIER

Les réticences des familles

En France, les représentants de la religion musulmane, pas plus que ceux d’autres religions, n’ont manifesté d’hostilité contre le prélèvement d’organes. Mais l’équipe d’anesthésie-réanimation de l’hôpital Saint-Louis de Paris, qui présentait au colloque une étude sur l’approche des familles musulmanes dans ce domaine, constate des oppositions manifestes chez les traditionalistes et de grandes réticences chez les autres.

Dans la communauté musulmane, l’inhumation fait partie des obligations de solidarité collective, et la famille ou, à défaut, la communauté, est garante des rituels funèbres, lesquels ne peuvent être entravés par l’acte de prélèvement d’organes.
« Il nous revient alors de trouver l’étroit chemin des conditions pour concilier l’un et l’autre, en tenant compte, dans le grand nombre de personnes présentes autour du défunt, de la hiérarchisation des rôles dans la famille : choisir deux interlocuteurs avec qui nouer le dialogue et qui seront nos points d’appui et nos relais, généralement le père ou le grand frère, mais aussi la mère, dont l’avis est souvent décisif », explique l’équipe parisienne. Elle recherche parfois le concours des responsables religieux de la mosquée, laquelle peut éventuellement se charger des pratiques rituelles.

Dans les religions révélées, la mort n’est considérée que comme un passage, avec espérance de résurrection et perspective d’une vie éternelle : dès lors, l’amputation peut apparaître comme incongrue. Selon ces religions, le corps, création divine, ayant un statut sacré, doit être respecté dans son intégrité. A l’équipe médicale de faire preuve d’une « moralité élevée » et démontrer qu’elle traitera le corps avec respect.

Se pose également le problème de la visibilité de la mort, lorsqu’il s’agit de mort encéphalique. Pour ceux qui requièrent l’arrêt complet des fonctions vitales, force est de faire appel à des documents médicaux, voire au débranchement momentané du ventilateur. « Mais nous n’avons pas d’outil ni de méthode établie pour convertir la décision des familles », souligne l’équipe de Saint-Louis. Pour elle, « la nécessité des vies à sauver ou à restaurer, la solidarité communautaire, le respect des traditions sont les points d’appui du dialogue. Et l’expérience de l’équipe de coordination et les valeurs qui l’animent sont aussi des facteurs décisifs ».

Prélèvements mercantiles

Comme l’a expliqué un néphrologue de l’hôpital de New Delhi venu participer au colloque de Marseille, il n’y a pas, en Inde, de programme organisé de greffe à partir de donneurs décédés, ni d’organisation chargée de la répartition des organes. Sur les 2 500 à 3 000 greffes de rein effectuées chaque année, entre 50 et 60 % sont possibles grâce à des prélèvements sur des donneurs vivants non apparentés, et, sur ce total, la moitié est liée à un trafic commercial. D’où la proposition formulée dans ce pays de légaliser la vente de rein sous contrôle d’une organisation à but non lucratif, avec anonymat donneur-receveur et vérification de la santé physique et mentale du donneur.

Mais une étude réalisée auprès de donneurs montre que, « si c’était à refaire », 99 % d’entre eux préféreraient mendier ou emprunter plutôt que de vendre leur rein.

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