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Avec le prélèvement d’organes, « on marche sur des oeufs »

25 septembre 2003, Le Quotidien du Médecin

Marie-Solange Haralambo, Joëlle Mavré et Viviane Oheix sont infirmières coordinatrices au sein du département d’anesthésie du Pr Pierre Coriat, à la Pitié-Salpêtrière. A trois, et sous la responsabilité hiérarchique du Pr Bruno Riou, le médecin référent des prélèvements d’organes, elles constituent les chevilles ouvrières du don d’organes. Histoire d’un engagement professionnel.

Abattre la barrière entre volonté de sauver et prélèvement d’organes (S.Toubon)

Lorsque la semaine d’astreinte arrive, il ne faut rien prévoir : pas de théâtre, où l’on ne peut pas faire sonner son téléphone portable, pas de dîner, où il ne serait pas convenable de se lever de table. C’est la règle d’or des trois infirmières coordinatrices de la Pitié-Salpêtrière lorsque, à tour de rôle, elles sont d’astreinte vingt-quatre heures sur vingt-quatre. « Il faut croire en ce que l’on fait et avoir beaucoup d’expérience pour pouvoir faire la différence entre la vie familiale et la vie professionnelle, explique Joëlle Mavré. On ne peut pas prendre toute la peine des gens sur les épaules. »

Engagées et investies pour le don d’organes, les infirmières coordinatrices ont un rôle bien spécifique, à la frontière de la mort et de la vie. L’organisation doit être claire et lisible pour la famille qui vient de perdre brutalement un proche, victime la plupart du temps d’un accident vasculaire cérébral ou d’un accident sur la voie publique. Dans un contexte de choc, il ne faut introduire aucun doute : la barrière entre volonté de sauver et prélèvement d’organes doit être tranchée.
C’est le médecin, « l’homme de science », qui annonce la mort encéphalique à la famille en compagnie d’une des trois infirmières coordinatrices. « Il n’y a pas d’entretien type, insiste Viviane Oheix. Nous nous adaptons à la personne qui est en face de nous. Notre rôle consiste avant tout à évaluer la compréhension de la famille, à réexpliquer en termes simples, s’il le faut, la situation. » La mort encéphalique est un mirage de vie. On ne voit pas le respirateur artificiel ni la couverture chauffante. « Les familles ont toujours l’espoir du coma. Nous nous appuyons sur les examens pour leur prouver que le cerveau est détruit, poursuit Marie-Solange Haralambo. Je prends l’image du téléphone portable qui ne peut pas fonctionner sans batterie. Pour nous, c’est le cerveau qui remplace la batterie. »

Générosité

Ce n’est que lorsque la famille a admis la mort que le médecin, ou plus souvent l’infirmière coordinatrice, parle du don d’organe, anonyme et gratuit. « On ne parle pas de prélèvement, mais de don, précise Joëlle Mavré. Lorsque la famille ne connaît pas la position du défunt, on cherche à la découvrir en posant des questions sur sa vie et son état d’esprit : est-ce qu’il s’intéressait aux autres, est-ce qu’il était ouvert ? Il est très important de lier le don d’organes avec la générosité. »
Les infirmières coordinatrices prennent le temps, écoutent et laissent les familles réfléchir. « La mort, puis le don d’organes : on comprend que ce sont deux choses très difficiles à admettre pour les proches, reconnaît Viviane Oheix. Nous devons cependant expliquer qu’il s’agit d’une course contre la montre : plus on avance, plus les organes se dégradent. Il faut aussi poser des limites. Avec le prélèvement, on marche sur des œufs. »
Les infirmières coordinatrices s’organisent, anticipent les choses quand elles le peuvent : elles entreprennent des examens sérologiques et, pour les personnes suicidées, tentent d’obtenir l’autorisation de prélèvement du procureur, sous réserve d’avoir ensuite celle de la famille.

Le respect de ceux qui restent

Aujourd’hui, après plusieurs campagnes de communication grand public entreprises par l’Etablissement français des greffes sur le don d’organes, certaines familles évoquent d’elles-mêmes le sujet. Pour dire oui (30 % des familles environ, un reflet de la moyenne national) ou pour dire non, peu importe. « Ce que nous essayons d’obtenir, c’est la position du défunt, ajoute Marie-Solange Haralambo. Mais, dans tous les cas, c’est la décision de la famille que nous respectons, même si nous avons le sentiment qu’elle ne reflète pas forcément la volonté du défunt. »
Le respect de ceux qui restent, en priorité. Ainsi entend-on cette mère qui, devant le corps de sa fille, répond à l’infirmière  : « Je sais que ma fille était pour le don d’organes, mais vous ne la toucherez pas. »
Ou ce garçon de 15 ans qui, malgré l’accord des parents, refuse que son frère de 20 ans soit prélevé. L’infirmière doit effacer l’image traumatisante du prélèvement, celle où le mot «  charcuter » vient heurter l’esprit, pour évoquer l’opération en bloc opératoire. « Il faut expliquer que l’on prend les mêmes précautions que pour une intervention chirurgicale, que la cicatrice est faite de la même façon, avec les mêmes fils, dit Joëlle Mavré. Nous nous portons garantes du corps et nous surveillons chaque cicatrice. » Les infirmières coordinatrices passent un contrat de transparence avec les proches du défunt. Elles respectent la confidentialité des décisions et informent, quand les familles le veulent, sur le nombre de greffons qui ont été prélevés. « Le don d’organe est anonyme, rappelle Marie-Solange Haralambo. Nous n’avons aucune liaison avec la transplantation, mais nous avons parfois des informations sur le devenir des organes. Bien sûr, nous ne téléphonons jamais à la famille pour en parler. C’est au cas où les proches se manifestent. » Certaines familles (une sur quatre environ) rappellent, plusieurs fois. « Je n’interdis jamais que l’on me téléphone, explique Joëlle Mavré. Mais quand je sens que je n’ai plus les mots, que la personne est en détresse, je refuse de jouer à la psy. Ce n’est pas mon rôle. » A la fin de chaque entretien, les infirmières coordinatrices se soucient de la prise en charge globale des personnes et proposent, quand il le faut, soit l’aide d’une assistante sociale, soit d’un psychologue. Avec l’Etablissement des greffes, l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière entreprend une étude concernant l’analyse du refus ou de l’acceptation du don d’organes afin de démontrer la nécessité d’un psychologue attaché au service pour le suivi des personnes. Elsa Lannot, psychologue, rencontre les familles au bout d’un délai de deux ans. « C’est une étude qui commence et l’on ne peut encore rien en tirer. Mais il est vrai que, globalement, les organes du défunt qui vivent encore pose problème aux proches. » Un problème à envisager sérieusement si l’on veut que le don d’organes continue à progresser. « C’est ce qui se passe aujourd’hui qui détermine ce que le don d’organes sera dans vingt ans », conclut Marie-Solange Haralambo.

Stéphanie HASENDAHL

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