Actualités

Cinq années difficiles pour la néphrologie

30 septembre 2003, Le Quotidien du Médecin

5e Réunion commune de la Société de néphrologie et de la Société francophone de dialyse. Nancy, 30 sept.-3 oct. 2003.

Pour le Pr Claude Jacobs (hôpital de la Pitié-Salpêtrière, Paris), les prospectives médicales à long terme font figure d’inutiles exercices de style. C’est donc sur les cinq années à venir qu’il porte son analyse et prévoit, pour le monde de la dialyse, davantage de combats à mener dans les domaines logistique, démographique et financier que de réelle révolution biomédicale.

L’évolution des chiffres de survie et de qualité de survie des patients transplantés, hémodialysés ou traités par dialyse péritonéale démontrent que chacune de ces techniques est arrivée à une certaine forme de maturité, sans évolution technique majeure enregistrée depuis plusieurs années, même s’il faut toujours déplorer, par exemple, le « maillon faible » que reste la réalisation ou le maintien de la fonctionnalité au très long cours d’un abord vasculaire, en dépit des 40 ans d’expérience dont nous disposons dans ce domaine…
Plutôt que d’attendre, dans les prochaines années, une plutôt improbable avancée technique fondamentale, susceptible de remettre en cause les principes thérapeutiques actuels, mieux vaudrait donc, selon le Pr Jacobs, se donner les moyens de mettre à disposition d’une population plus large de patients les progrès déjà acquis. Citons parmi ceux-ci :

  • les systèmes de traitement de l’eau pour la dialyse extracorporelle qui permettent d’obtenir une eau « ultrapure » et rendent ainsi possible la diffusion plus large des techniques d’hémofiltration et d’hémodiafiltration ;
  • les membranes de dialyse à haute perméabilité qui augmentent l’efficacité de l’épuration,
  • le traitement par l’érythropoïétine,
  • l’élargissement des possibilités de la « dialyse quotidienne » à raison de 5 ou 6 séances hebdomadaires de 2 heures ;
  • l’amélioration des conditions de remboursement de la dialyse péritonéale automatisée, qui reste inégalement prise en charge selon les régions de France.

Autant d’objectifs limités par l’ampleur des dépenses de soins qu’ils sous-entendent, à l’heure où la Sécurité sociale s’achemine vers un déficit record.

L’augmentation du nombre des sorties de dialyse vers la transplantation, qui ont concerné 2 662 patients durant l’année 2002 – un chiffre qui nous place très favorablement dans le peloton européen – mais laissaient toujours, au 31 décembre de l’année dernière, 5 227 malades en attente d’un greffon, est, quant à elle, obérée par le nombre trop faible de dons cadavériques. Le refus des familles explique encore dans 30 % des cas cette situation, aggravée par les conditions toujours plus difficiles de prélèvement dans les services souvent surchargés de réanimation polyvalente ou de neurochirurgie et, indirectement, par l’amélioration des chiffres de la mortalité routière.

A cet égard, comme l’ensemble de la profession, le Pr Jacobs plaide donc en faveur du don d’organe prélevé chez le sujet vivant (majoritairement intrafamilial) – qui a représenté 4,8 % des dons en 2002 – et pour lequel il souhaiterait un objectif réaliste d’au moins 10 % à un horizon de cinq ans.

Un déficit massif de néphrologues

En outre, tout porte à croire que les prochaines années risquent d’être plus difficiles encore. Pour des raisons de démographie tout d’abord : la population des patients pris en charge pour insuffisance rénale chronique au stade terminal augmente chaque année de 5 à 6 % et rien ne laisse prévoir une inversion de tendance avant longtemps.
Pour des raisons logistiques ensuite. Les dispositions ministérielles prises en septembre 2002 substituent à l’ancienne « carte sanitaire » « une nouvelle organisation des conditions techniques de fonctionnement et d’encadrement des unités de dialyse » basée au plan régional sur la démographie et la typologie des patients.
Ces textes permettent une distribution beaucoup plus réaliste des moyens de traitement de l’urémie au stade terminal que celle réalisée selon la défunte « carte sanitaire ». Ils ne seront cependant pas applicables sur l’ensemble du territoire avant plusieurs années. De plus, ce retard risque d’être accentué par l’impossibilité d’assurer le nombre de néphrologues requis pour leur mise en pratique effective.

En effet, le déficit massif de néphrologues qualifiés rend la situation très préoccupante. Elle résulte de la gestion désastreuse de la démographie médicale en France au cours des quinze années précédentes. Ainsi, entre 1999 et 2002, notre pays a « produit » un néphrologue par million d’habitants et par an ! Il apparaît donc nécessaire de prendre de façon urgente des mesures radicales : l’accueil d’un plus grand nombre de praticiens étrangers, qui pose, il est vrai, le problème de la reconnaissance des diplômes, mais surtout – et cette proposition apparaissait déjà dans le rapport d’Yvon Berland remis au ministre de la Santé, de la Famille et des Personnes handicapées le 3 décembre 2002 – la création d’une filière de spécialisation infirmière d’une durée d’un ou deux ans supplémentaires, au terme desquels le personnel ainsi formé aux techniques de dialyse serait en mesure de prendre en charge une part non négligeable du travail aujourd’hui dévolu au néphrologue, de la surveillance et de l’éducation des patients.
Resteraient donc, même si les remèdes nécessaires étaient administrés sans plus tarder au monde très mal en point de la néphrologie, cinq à dix années très difficiles à traverser…

Dr Jean ANTHELME

D’après un entretien avec le Pr Claude Jacobs, hôpital Pitié-Salpêtrière, Paris.

Partagez

Plus de lecture

Répondre

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *