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Greffes : cinquante ans après, le même esprit que les pionniers

10 février 2003, Le quotidien du médecin

Le jour de Noël 1952, le Pr Jean Hamburger et son équipe réalisent à l’hôpital Necker, pour la première fois au monde, une greffe de rein de donneur vivant. Au-delà de l’hommage rendu au Pr Hamburger, la commémoration du cinquantenaire de cet événement fondateur a été l’occasion d’évoquer l’ère des pionniers, animés à la fois d’un esprit de rigueur et d’un culte de la transgression, au sens noble du terme, qui survivent chez leurs successeurs, confrontés à la pénurie de greffons.

Ce n’était pas la première greffe rénale mais ce fut la première faisant appel à un donneur vivant. La mère de Marius Renard, jeune apprenti charpentier victime d’une chute qui mettait hors d’usage son unique rein, a supplié les médecins pour qu’ils greffent à son fils un de ses propres reins. En cette nuit de Noël 1952 – personne n’était en repos compensateur, note le Pr Gabriel Richet ! – la première greffe avec donneur vivant est réalisée à l’hôpital Necker par l’équipe du Pr Hamburger.

Elle marquait une avancée mondiale, toujours d’actualité dans un contexte de pénurie des greffons, et le début d’une longue histoire de la transplantation à Necker puis à l’Assistance publique. Aujourd’hui, 30 % de l’activité nationale de transplantation, tous organes confondus, est assurée à l’AP-HP (873 greffes en 2001, 22 % rénale, 36 % hépatique, 36 % pulmonaire, 26 % cardiaque), avec un quasi-monopole en Ile-de-France.

La greffe fut réalisée avec succès ; cependant, la prévention du rejet n’étant pas alors maîtrisée, Marius mourut trois semaines plus tard.

[Ndlr : pour en savoir plus sur Marius Renard et sur l’histoire des greffes en général, voir dans la rubrique “la greffe : un peu d’histoire”]

Les grands principes

A cette époque, déjà, le Pr Hamburger, qualifié de visionnaire par le Pr Jean-François Bach, énonçait les grands principes de la réussite d’une greffe : une bonne vascularisation de l’organe après greffe, un appariement du donneur et du receveur comme on le faisait pour les transfusions sanguines et la suppression des phénomènes de rejet par des drogues appropriées. Tout était dit, l’histoire de la transplantation allait se dérouler comme prévu.

Un hommage est aujourd’hui rendu aux pionniers, le Pr René Küss, père de la technique chirurgicale, les infirmières de la “chambre stérile” de Necker, comme Denise Lacombe, le Pr Jean Dausset, prix Nobel qui découvrit les groupes tissulaires d’histo-compatibilité HLA. On évoque ensuite les débuts cahotants de l’immuno-suppression (sérum antilymphocytaire avec le Pr Jean Dormont), l’arrivée en 1984 de la ciclosporine qui donna une impulsion décisive aux greffes.

Les transplantations ont été étendues à d’autres organes : le cœur avec la première transplantation cardiaque en Europe effectuée par le Pr Christian Cabrol en 1968 ; le foie avec les innovations imaginées par le Pr Henri Bismuth afin de pallier la pénurie de greffons (foie réduit, révolution dans la transplantation hépatique chez l’enfant, foie partagé, foie “domino”). D’autres organes encore : poumon, intestin et aussi, avec le Pr Dubernard, pancréas, mains.

Rigueur et transgression

Le passé de la transplantation est prémisse de son futur, souligne le Pr Christophe Legendre (hôpital Saint-Louis, Paris). La richesse de l’héritage des pionniers, ces “aventuriers”, comme les décrit le Pr Didier Houssin (Etablissement français des greffes), tient en quelques mots : l’enthousiasme, la rigueur, le culte de la transgression au sens noble du terme. Les défis du futur vont dans le même sens avec la transgression de certains dogmes. Par exemple, l’utilisation des immunosuppresseurs pourrait ne pas être indispensable chez tous les patients ; plusieurs pistes sont à l’étude (induction d’état de tolérance sans IS, emploi limité des IS dans le temps). Les archaïsmes médicaux doivent disparaître, “ce qui pourrait être le plus difficile à mettre en œuvre” : développement de la multidisciplinarité avec multiplication de réseaux, plus grande participation des infirmières. Une restructuration des conditions de fonctionnement de l’AP-HP en ce domaine est indispensable.

Le Pr Philippe Thibault, conseiller auprès de Jean-François Mattei, ministre de la Santé, estime pour sa part que trois mots clés résument l’histoire des greffes : l’esprit (d’entreprise, de refus de la maladie, la capacité à concevoir des stratégies), la rigueur (du geste chirurgical, de l’observation clinique, du biologiste), la persévérance.
La place prépondérante de l’AP-HP en ce domaine doit se pérenniser, servir de creuset pour la formation. Le ministère est attentif au développement des prélèvements d’organes sur cadavres (loi bioéthique en discussion) avec une meilleure diffusion de l’information, surtout auprès des jeunes, et aux problèmes des prélèvements sur donneur vivant.

Dr Janine DEFRANCE

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