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Julien a sauvé quatre vies

22 Juin 2002, L’Humanité

Le fils de Josette est mort il y a trois ans. Témoignage.

Josette Lhomeau n’a rien vu venir. Aujourd’hui, ses beaux yeux verts plantés dans les vôtres, un visage incroyablement vivant, généreux et profond, elle raconte le drame, “comme ça, qui vous tombe dessus”.

Un matin de mai 1999, son dernier fils, Julien, a sauté par la fenêtre. Il avait dix-huit ans et venait de vivre sa première rupture amoureuse. Ce geste, personne ne peut l’expliquer. “Nous avons cherché. Son père et moi sommes divorcés. Nous nous sommes culpabilisés. Mais nous n’avons pas trouvé. C’était presque une fiction. Cela ne correspondait pas à ce qu’était notre fils.”

Julien avait choisi sa carrière. Reçu en école d’éducateurs, il démarrait juste une formation en alternance dans l’institut pour enfants handicapés que sa mère dirige dans le centre de Paris. “Dans notre famille, le don, c’est notre trip. Le don de soi, de son temps pour les autres. On en parlait depuis toujours à table.” C’est sans doute pour cela que Josette s’est trouvée prête lorsque les médecins lui ont demandé de prélever des organes de son fils.
Tous, la grande sour, le grand frère, le père de Julien, sont tombés d’accord. “Si Julien avait dû répondre à cette question pour son frère, sa sour ou moi, il aurait dit oui.”

Donner un sens à la mort. Quelque chose qui ressemble à Julien. Un garçon dans le don.
L’hôpital, la famille a six heures pour donner sa réponse.
Julien est en état de mort cérébrale.

“Et là vous avez besoin d’être bien entouré et qu’on vous explique bien tout ce que cela signifie. Car votre enfant est encore chaud. Il est là à côté de vous, comme s’il dormait. Alors que c’est fini.”
Une grosse machinerie se met ensuite en place sur toute la France. Il faut aller très vite, trouver des receveurs compatibles. Josette ne connaît pas leur identité. Mais elle sait que le coeur de son fils a été transplanté à un homme de trente-trois ans. Chaque rein à deux enfants et le poumon et le foie à une jeune fille de dix-huit ans, menacée de mourir quelques heures après. Tous vont bien aujourd’hui.
Josette demande des nouvelles parfois, mais de moins en moins.
“Quatre personnes vivent grâce à Julien. Cela aide à faire le deuil. Une part de lui vit autrement et ailleurs.”
Quant à parler de cette question en famille, pour Josette, il ne faut pas se leurrer : ” On ne va pas se retrouver autour de la table et parler de la mort comme ça. Cela ne peut être qu’informel. A l’occasion d’une émission de télé par exemple, on pourra dire “Le don d’organes, c’est super”, ou “Pour moi, il n’en est pas question”. Et c’est là qu’il faut savoir entendre.”

Par contre, Josette encourage l’initiative, lancée par l’Etablissement français des greffes et le ministère de l’Education nationale, d’un concours national de philosophie sur le thème “Ethique et don d’organe”. Les prix sont remis aujourd’hui aux meilleures copies des 1 200 élèves qui ont planché sur “Le don d’organes peut-il relever d’une obligation ?”. La meilleure méthode pour ébaucher un début de réflexion.
“Et ça fonctionne, car les jeunes sont tous généreux à cet âge. Tous prêts à se positionner.”
Aujourd’hui, Josette reconstruit sa vie avec son compagnon. Ses deux enfants vivent chacun dans leur appartement. “C’était très sympa de leur part, car s’occuper d’enfants quand il en manque un, c’est difficile.”

Et dès qu’elle a l’occasion, elle témoigne, raconte l’histoire de Julien. Sans réticence, généreusement. La parole qui restaure et qui répare. Aujourd’hui, à cinquante-quatre ans, elle rêve d’être grand-mère. La vie, le cours des choses…
M. D.

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