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Mort de Jean Dausset à 92 ans

Un des pères de la biologie moderne

Prix Nobel de physiologie et de médecine pour sa découverte du système HLA, Jean Dausset est décédé le 6 juin. La ministre de la Recherche a salué « l’un des pères de la biologie moderne ».

SIGNE DU DESTIN, c’est en pleine commémoration du débarquement du 6 juin 1944 que s’est éteint à Palma de Majorque, où il résidait depuis plusieurs mois, le Pr Jean Dausset. Car c’est bien la Deuxième Guerre mondiale qui allait infléchir le destin de cet interne des Hôpitaux de Paris puis assistant lequel se destinait sans doute, comme son père Henri, fondateur de la physiothérapie et de la rhumatologie en France, à une carrière de clinicien.

Transfuseur en Normandie.

En 1941, engagé volontaire dans l’armée après le débarquement des Américains au Maroc, il est affecté à une ambulance chirurgicale en tant que transfuseur-réanimateur et suit la campagne de Tunisie (1943) puis celle de Normandie (1944). Tout naturellement, à la Libération, il intègre le Centre régional puis national de transfusion sanguine de l’hôpital Saint Antoine, qui est aussi un centre de recherche très actif. Sa carrière bascule vers l’immunothérapie qui allait le conduire au Prix Nobel de physiologie et médecine en 1980 pour la découverte du complexe d’histocompatibilité, « le cerveau de l’immunologie », comme il le désignait lui-même.

À la tête d’une équipe de donneurs de sang bénévoles, il pratique quotidiennement l’exanguino-transfusion chez des femmes qui, après un avortement septique, souffraient de septicémies à Clostridium perfringens – l’avortement était alors formellement interdit et l’antibiothérapie pas encore répandue -, une technique alors révolutionnaire utilisée dans la maladie hémolytique du nouveau-né et que Jean Bernard et Marcel Bessis avaient été les premiers à appliquer aux adultes atteints de leucémie.

Mais il s’interroge devant la mauvaise tolérance de certaines transfusions alors que tous les groupes sanguins connus avaient été vérifiés, ABO et rhésus, notamment.

Ceci le conduit à s’intéresser aux globules blancs des patients leucopéniques.

En 1952, il fait son expérience princeps : « Je m’étais aménagé un coin pour travailler au milieu de vieux microscopes et autres instruments poussiéreux. Nous faisions pas mal de ponctions de moelle sur des patientes dont je gardais les échantillons dans un réfrigérateur. Je mettais ceux-ci dans un tube, j’ajoutais le sérum d’une patiente et j’étalais le tout sur une lame. C’est comme cela qu’un beau jour, avec le sérum d’une polytransfusée, j’ai pu observer ces agglutinats leucocytaires alors qu’on ne connaissait jusque-là que l’agglutination des globules rouges », racontait-il. Rapidement il montre que ces anticorps antiglobules blancs étaient dus aux nombreuses transfusions qu’avait reçues la malade. C’est le « temps héroïque de la leucoagglutination » au cours duquel il essaie de « débrouiller l’écheveau inextricable des réactions d’agglutination dont la reproductibilité était le plus souvent douteuse. Les murs du laboratoire étaient couverts de tableaux où les réactions des anticorps contre les globules blancs des donneurs volontaires étaient inscrites, selon leur intensité, par 1, 2 ou 3 croix, expliquait-il dans la préface de l’ouvrage que Jacques Colombani consacrait au système HLA. Les résultats douteux marqués par un +ou- étaient parfois les plus nombreux, ce qui ne facilitait pas l’interprétation. »

Il finira par décrire en 1958 le premier antigène leucocytaire (dénommé MAC) du futur système HLA (Human leucocyte Antigen) qui conditionne l’acception ou le rejet des greffes d’organes et de moelle osseuse entre donneur et receveur.

Transplantation d’organes.

« J’ai compris et, peu à peu, pu prouver que les globules blancs, les plaquettes et d’une façon générale, les cellules de tous les tissus d’un organisme ont une identité chimique qui les distingue de celles des autres organismes de la même espèce. Au point d’être incompatibles entre eux», expliquait-il. Ses travaux ont permis de comprendre l’un des mécanismes essentiels de la défense immunitaire, la reconnaissance du soi et du non soi. Sur le plan thérapeutique, la découverte du système HLA a eu une application immédiate, la transplantation rénale.

Le Pr Jean Hamburger l’affirmait « au Quotidien » lors de l’annonce du prix Nobel : « Si nous avons réussi, en 1962, la première greffe dans le monde entre deux sujets non jumeaux, c’est probablement parce que les méthodes, pourtant encore rudimentaires à l’époque de Jean Dausset, ont permis de choisir le bon donneur dans la famille. »

Le polymorphisme extrême du système HLA a permis de faire la démonstration que chaque homme est unique. Mais il a aussi conduit au développement d’une nouvelle science, la génétique des populations, qui tente de comprendre, par l’étude des marqueurs biologiques, comment ont évolué et évoluent encore les groupes humains, et de caractériser les grandes migrations de l’Humanité.

Fondateur du Centre d’étude du polymorphisme humain (CEPH) en 1984 avec Daniel Cohen, Jean Dausset a pu raconter comment l’attribution du prix Nobel a été déterminante dans la direction entièrement nouvelle que prit sa carrière. Il devint « le premier, bien avant les Américains, à entreprendre la carte du génome humain ». Au cours d’une émission de télévision, une téléspectatrice fortunée – Mme Anavi – fut à ce point impressionnée qu’elle fit de lui son légataire universel. À sa mort deux ans plus tard, le centre, transformé en Fondation Jean Dausset, disposa de moyens considérables et favorisa l’établissement des premières cartes du génome humain. D’hématologue, il devint généticien. Mais dès 1972, il est convaincu que l’étude des maladies associées à tel ou tel allèle du système HLA ouvrait la voie à une prévention personnalisée, autrement dit à la médecine prédictive. La ministre de la Recherche a pu saluer à juste titre « un des pères fondateurs de la biologie moderne ».

Dr LYDIA ARCHIMÈDE, le Quotidien du Médecin

 

 

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