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Comment notre système de soins empêche des gens de travailler : l’exemple de la dialyse

Comment notre système de soins empêche des gens de travailler

Être atteint d’une pathologie chronique grave, tenir le coup et vouloir vivre normalement, ça semble légitime, non ? Pas forcément. Dans certains cas, on ne peut pas choisir de travailler ou non, les dispositifs de soins n’étant pas accessibles partout. Olivier Petit, en dialyse, raconte.

A me voir jongler entre mon boulot, mes enfants et mes activités personnelles, on ne croirait jamais que je suis invalide. Je suis ingénieur et j’ai un rythme de vie soutenu, qui laisse peu de place à l’oisiveté.

Pourtant, mes reins ne fonctionnent plus, et je suis en dialyse trois fois par semaine, chaque séance durant six heures. Mon insuffisance rénale a été diagnostiquée en 1987, lors d’un dépistage systématique dans le cadre de la visite médicale d’entrée à la fac. Au fil des années, mon état de santé s’est dégradé et j’ai commencé les dialyses en 1993. 

Quand on est déclaré invalide, la pension d’invalidité que l’on peut toucher se monte environ à 600 euros mensuels. Pour vivre avec cette somme, il faut pouvoir compter sur un deuxième salaire, auquel cas la pension d’invalidité fera office d’appoint financier, ou travailler au noir et cumuler les revenus illégaux avec la pension, ce qui est périlleux. Dans l’obligation de subvenir aux besoins de ma famille, j’ai choisi de ne pas exercer mes droits : j’ai donc renoncé à ma pension d’invalidité et je travaille à plein temps.

C’est un choix dicté non seulement par les contraintes financières de base (payer le loyer, les factures etc) mais également par le souci de ne pas m’arrêter de vivre, de ne pas m’enfermer dans la maladie et de conserver une existence normale, autant que possible.

Et c’est avec un travail à temps plein que je me trouve confronté à des obstacles logistiques parfois surréalistes.

Il faut savoir que les séances de dialyse, dans mon cas, sont nécessairement longues (six heures par séance), car le patient en dialyse doit faire, pendant ses séances, ce qu’une personne en bonne santé fait en permanence avec ses reins fonctionnels. Les dialysés doivent donc non seulement éliminer pendant les séances les déchets azotés, mais également le liquide qui s’accumule du fait qu’ils n’urinent pas.

Sans diurèse, le moindre café qu’on boit, on le garde deux à trois jours. A chaque séance, on perd donc une certaine quantité de liquide (2 ou 3 litres d’eau), plus faciles à évacuer en six heures qu’en quatre, une évacuation trop rapide pouvant provoquer un état de choc. Par ailleurs, une évacuation plus lente permet au patient d’être moins incommodé (on peut tirer jusqu’à 700 ou 800 millilitres de liquide par heure).

Entre les séances, l’organisme stocke le liquide, et ce stockage expose à plusieurs risques : l’eau en excès dans les tissus peut provoquer un œdème pulmonaire, et l’accumulation des déchets dans l’organisme peut être accompagnée d’une hyperkaliémie (excès de potassium) avec risque d’arrêt cardiaque .

Trois séances de dialyse par semaine, dix-huit heures en tout : pour continuer à vivre à peu près normalement et surtout à travailler à plein temps, il est donc indispensable de planifier les dialyses la nuit. Certains patients travaillent en temps partiel thérapeutique, pour permettre les séances de jour. Mais du coup, on travaille moins, ce qui n’est pas toujours simple à mettre en œuvre. Et on est encore affiché comme “malade”… En ce qui concerne le travail à temps plein, cela confronte donc les patients comme moi à un énorme problème de disponibilité des postes de dialyse, et nous met face à la saturation dans les hôpitaux.

Bien sûr, les situations varient selon les régions : certaines villes, dotées de grands CHU, avec de gros moyens, sont plutôt bien pourvues et les départements de néphrologie ont suffisamment de postes de dialyse et de personnel soignant pour assurer les séances en nocturne.

Mais dès qu’on doit bouger, ça peut se compliquer. Et je ne parle pas ici de déplacements de loisirs. Là, il s’agit du boulot : quand je dois partir en congrès, ou assister à des colloques en tant qu’intervenant, je dois m’y prendre des mois à l’avance pour réserver mes séances à des heures qui me permettent d’assurer mes obligations professionnelles. En soirée ou la nuit donc. Et ça, ça n’existe pas dans toutes les villes. Il m’est déjà arrivé de devoir annuler, ne trouvant pas de séance nocturne à proximité de mon lieu d’intervention.

Je ne remets pas en cause la conscience professionnelle des soignants, qui font de leur mieux avec les moyens qu’ils ont. Mais il est clair que dans certaines villes, les personnes souffrant d’insuffisance rénale n’ont pas vraiment le choix de travailler ou non : car de la disponibilités des séances de dialyse dépendront la possibilité pour elles d’exercer ou non une activité professionnelle. J’ai eu l’occasion de discuter avec une infirmière, dans une ville qui ne proposait pas de séances de nuit. “Comment font les patients qui travaillent, ici ?” lui ai-je demandé. “Eh bien, nous n’en avons pas… Ici, ceux qui doivent être dialysés trois fois par semaine pendant plusieurs heures ne peuvent tout simplement pas travailler”.

Sans compter, et ce n’est pas négligeable, que la dialyse fatigue beaucoup : on estime qu’une séance équivaut à une journée de travail, en terme de fatigue. Dès lors, pas facile de bosser l’après-midi on s’est tapé une dialyse le matin.

Alors comment font les gens qui veulent bosser à plein temps quand les séances de nuit n’existent pas ? C’est simple, ils renoncent à leur activité professionnelle et dialysent le jour. Et vivent donc, dans le pire des cas, avec leur pension d’invalidité, dont on sait qu’elle est insuffisante.

Et la cerise sur le gâteau : quand on est en invalidité, on n’est pas censé DEVOIR travailler puisqu’on a droit à une pension. Conséquence : quand on perd son job, on n’a pas droit aux allocations chômage, bien qu’on cotise comme tout le monde ! A titre d’exemple, en cas de perte d’emploi sur la base d’un salaire de 2000 euros par mois, je n’aurais aucun droit au chômage, qui me procurerait un revenu décent pendant un temps, et je reviendrais à la case départ et à ma pension d’invalidité, calculée il y a plus de 15 ans.

Le problème de saturation fait donc que très souvent, on ne peut donc pas choisir de travailler ou pas. Dans certaines villes, les néphrologues ont certes réussi à maintenir les séances de nuit, mais ce n’est pas possible partout. Dans d’autres villes, sur le même principe, les séances de nuit sont optimisées et démarrent à 22 heures, ce qui permet non seulement de préserver sa vie de famille mais, quand le service reste ouvert toute la nuit, de pouvoir finir sa nuit sur place sans la couper en deux (car en dialyse, le patient peut dormir). La dialyse de nuit est donc parfaite à la fois sur le plan médical et sur le plan personnel.

Et si on veut parler des activités de loisirs qui supposent un déplacement (vacances, long week-end), la destination et la durée du séjour dépendent également des possibilités d’être dialysé sur place : lorsqu’il n’y a pas de réponses possibles au niveau hospitalier, non par mauvaise volonté mais par impossibilité, le patient est aussi impuissant que les équipes médicales.

Voici donc un vrai problème de santé publique qui met dans une impasse surréaliste aussi bien les patients que les équipes médicales : des deux côtés on essaie de faire au mieux, mais le système trouve très vite ses limites. C’est ainsi qu’on trouve des salariés qui mènent quasiment une double-vie, conditionnée par les horaires des dialyses et les lieux où elles peuvent se dérouler en marge de la vie professionnelles, et des invalides qui ne sont pas en mesure de travailler.

Pas parce qu’ils sont en trop mauvaise santé, pas parce qu’ils veulent “profiter” de la pension pour rester inactifs, mais simplement parce que les dispositifs en place ne leur permettent pas de travailler.

Par Olivier Petit, Ingénieur, édité et parrainé par Gaëlle-Marie Zimmermann, Le Nouvel Observateur du 28/10/2011

 

 

 

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