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Pression au travail, manque d’argent : ces patients qui refusent les arrêts-maladie

Pression au travail, manque d’argent : ces patients qui refusent les arrêts-maladie

La question des arrêts-maladie donne décidément du fil à retordre au gouvernement. Après avoir renoncé à modifier le mode de calcul des indemnités journalières pour faire des économies, le voici qui recule sur le quatrième jour de carence pour les salariés du privé. Par deux fois, les mesures qu’il défendait ont été jugées injustes : elles touchaient les travailleurs dont l’entreprise ne compense pas la baisse de revenu liée à l’arrêt-maladie.

De quoi aggraver un phénomène observé par de plus en plus de médecins en ces temps de crise : le refus des malades de se mettre en arrêt-maladie. Un sujet peu documenté.

"On en parle peu, sans doute parce que les arrêts-maladie sont un sujet tabou et qu’il est de bon ton d’estimer que les Français sont des fainéants", analyse Claude Bronner, du syndicat Union Généraliste. Ce médecin, qui se dit inquiet de l’augmentation de la souffrance au travail, voit souvent des patients qui lui font part des pressions de leur entreprise contre les arrêts.

 

Surtout, il y a le problème financier. Tous ne sont pas égaux devant la possibilité, ou non, de s’arrêter. Les médecins distinguent trois catégories : les fonctionnaires, assez bien protégés ; les salariés des grandes sociétés, pour lesquels il n’y a pas d’incidence financière quand ils se mettent en congé maladie ; et un troisième groupe, ceux dont les entreprises ne compensent pas les jours de carence, ni la baisse de revenu engendrée par le versement d’indemnités moins élevées que le salaire.

Selon le gouvernement, seuls 30 % des salariés ne reçoivent pas de complément de salaire, un chiffre contesté par les syndicats. "Même minoritaires, ces personnes sont nombreuses quand même", insiste le Dr Bronner, évoquant les smicards pour qui gagner moins est impossible.

Ne pas pouvoir s’arrêter peut constituer un frein à l’accès aux soins. Comme les dépassements d’honoraires, le coût des complémentaires santé, ou les délais d’attente auprès des spécialistes, motifs bien connus de renoncements. A ces réfractaires, les médecins donnent des arrêts, considérant qu’ils font partie de la prescription comme les médicaments. Mais ils savent pertinemment qu’ils n’en tiendront pas compte. Parfois, les malades s’arrêtent mais repartent travailler alors qu’ils ne sont pas guéris. D’autres reportent une opération, ne pouvant se permettre plusieurs semaines d’arrêt.

"Tous les jours, un ou deux patients refusent que je les arrête. Ils disent ne pas pouvoir se le permettre, mais aussi avoir peur d’être stigmatisés", constate Stéphane Pertuet, généraliste à Barentin (Seine-Maritime). Il décrit des actifs, souvent trentenaires, travaillant notamment dans le commerce. Il voit des employés municipaux qui ne veulent pas perdre leur prime de présence. Des malades parfois sous forte pression à cause de la crise, que ce médecin pousse à faire une pause. Dernièrement, il a réussi à convaincre un jeune homme : "Il avait honte d’expliquer qu’il craquait, il m’a demandé ce qu’il pourrait dire à son patron."

Comme beaucoup, il s’énerve de la pression de la majorité sur les arrêts-maladie. C’est aussi le cas de "docteurmilie", pseudonyme d’une jeune généraliste de Seine-Saint-Denis qui tient un blog. "Oui, je l’accorde, il y en a quelques-uns qui réclament des arrêts pour pas grand-chose, ou qui tirent sur la corde – "tant qu’à avoir trois jours, mettez-moi la semaine tant qu’à faire"" , y écrit-elle, estimant qu’il s’agit de cas marginaux. "Autour de moi, les gens ne prennent pas leurs arrêts-maladie. Faut-il en déduire qu’en Seine-Saint-Denis les gens sont plus courageux ?", affirme la généraliste, qui garde l’anonymat pour pouvoir raconter les histoires de ses patients.

Le "docteurmilie" voit aussi des malades qui refusent un congé maladie pour ne pas mettre leurs collègues dans l’embarras ou parce qu’ils ont peur d’avoir ensuite trop de travail à rattraper. Pourtant, juge-t-elle, pour une tendinite ou un lumbago, mieux vaut s’arrêter quand ce n’est pas encore trop grave avant de finir "totalement bloqué". Pour limiter le coût global des arrêts, elle plaide pour une sensibilisation aux conséquences des abus et non une stigmatisation des malades.

Depuis plusieurs années, l’assurance-maladie explore la question de référentiels de prescription pour guider les médecins, la durée des arrêts étant très hétérogène d’un praticien à l’autre. De quoi faire pas mal d’économies.

D’après Jean-Baptiste Chastand et Laetitia Clavreul, le Monde du 24/11/2011

 

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