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Pour concilier maladie chronique et travail, faut-il changer la loi ?

Pour concilier maladie chronique et travail, faut-il changer la loi ? 

Lorsque l’on est atteint de maladie chronique, notre état de santé se heurte souvent à nos obligations professionnelles.

Comment faire pour concilier vie active et pathologie lourde ? La réponse est aussi juridique, souligne Benjamin Pitcho, avocat spécialisé dans le droit de la santé, dans un article publié par le Nouvel Observateur le 7 mars dernier.

S’il existe beaucoup de textes de loi sur la santé et la santé au travail (qu’il s’agisse de handicap, d’accident du travail ou de maladie professionnelle), la spécificité de la maladie chronique reste difficile à appréhender et n’est pas forcément reconnue. Or conserver son emploi est, pour les personnes atteintes d’une maladie chronique, autant un besoin financier que moral. Quand la maladie isole, la rupture avec l’emploi devient un facteur supplémentaire d’exclusion sociale.

La maladie peut également introduire une rupture dans la carrière, parfois mal acceptée par l’individu lui-même, mais aussi par l’entreprise. Certains malades préfèrent ainsi ne pas révéler leur pathologie, pour éviter la commisération, mais aussi tout risque de discrimination ou de “placardisation”.
Quand on demande aux malades d’être aussi performants que les autres salariés, ce qui leur est imposé consiste, en réalité, à être des surhommes. Il ne suffit pas d’aménager un poste de travail, de fournir aux salariés des bureaux spéciaux ; les ruptures temporelles, l’épuisement, la fatigue, les rendez-vous et les traitements à l’hôpital sont aussi à prendre en compte.

Benjamin Pitcho considère que tout ne peut pas être résolu avec un temps partiel ou des horaires aménagés – et ce d’autant que cette organisation induit une baisse de la rémunération – ce qui constitue du reste une problématique à part entière. Il préconise donc l’introduction de contrats de travail assouplis et négociés dans leur exécution – non dans leurs modalités de rupture – afin de prendre en compte au mieux leurs difficultés. Il appartient selon lui au droit du travail, par le retour à des processus individuels négociés, de permettre à chacun de faire valoir ses impératifs personnels. 

Le temps partiel semble en effet encore trop insuffisant pour ce faire. Il donne comme exemple la possibilité de prendre tous ses mardis pour aller à l’hôpital, qui constitue selon lui déjà un pas dans la bonne direction. Sauf que les contraintes de traitements peuvent être bien plus lourdes et plus fréquentes (pour la dialyse notamment…). Il souligne la nécessité que les hôpitaux ou les lieux de prise en charge médicale soient prêts à recevoir le patient un jour précis toutes les semaines.

On est en droit de penser également à la nécessité du respect des horaires de consultation ou de traitement, à leur adaptation aux contraintes du monde du travail, aux efforts pour que la durée globale de présence soit limitée (par exemple dans le cas où plusieurs examens successifs sont nécessaires, la bonne coordination de leur organisation), etc. Autant d’éléments clés, dont on sait qu’ils posent beaucoup de difficultés dans la vraie vie… Certes, l’entreprise et le droit du travail doivent s’adapter aux contraintes nouvelles des maladies chronique, mais le soin doit également prendre en compte la demande légitime des malades de poursuivre leur activité et même la considérer comme une priorité et une partie intégrante de la prise en charge.

Benjamin Pitcho rappelle à juste titre que ce constant va-et-vient peut représenter une lourde charge pour le salarié, qui partage alors son temps entre sa maladie et son travail, sans interruption, sans répit. “Responsabilisé”, “acteur de sa maladie”, autonome, au travail (par choix, par contrainte ou par nécessité ?), il doit faire face à de multiples impératifs et à des pressions importantes…  Là aussi il est essentiel que ces aspects soient pris en compte.

D’ici dix à quinze ans, une proportion substantielle des personnes actives sera atteinte d’une maladie chronique. Demander un traitement différentiel et une souplesse juridique faisant oublier le caractère parfois trop rigide du droit du travail ne revient pas selon Benjamin Pitcho à mettre à mal le principe d’égalité. Bien organisée, cette souplesse ne menace pas non plus la protection légitime due au salarié. Au contraire, elle la renforcerait en lui permettant de vivre pleinement son activité sociale.

On peut regretter que son plaidoyer n’aborde à aucun moment les aspects financiers de cette adaptation : quelle rémunération ? Le salaire doit-il être diminué, et comment, lorsque la maladie ou les traitements viennent impacter le temps de travail ou la productivité ? Si l’objectif est son maintien, au moins partiel, l’entreprise doit-elle être la seule à mettre la main au porte monnaie (ce qui risquer d’être bien dissuasif pour les employeurs) ? Quels dispositifs la société pourrait-elle mettre en place pour reconnaitre à sa juste mesure l’implication des personnes dans le maintien de leur activité professionnelle dans de telles conditions ?

Il reste cependant réaliste quant à la mise en musique de ces changements. La preuve : qui, parmi les candidats à l’élection présidentielle, a formulé des propositions concrètes concernant la santé, alors que, du fait de l’allongement de la durée de vie, de la sédentarisation comme des progrès médicaux, de nombreuses maladies auparavant mortelles deviennent chroniques ?

Au delà des échéances électorales, on ne peut que remarquer que les syndicats de travailleurs ne se sont à aucun moment emparés de ces sujets, alors que leurs “troupes” sont manifestement concernées au même titre.

Dans le contexte de crise de l’emploi que nous connaissons, avec un marché du travail toujours plus tendu et exigeant, les qualités spécifiques d’un travailleur malade chronique peuvent largement échapper à l’employeur. Au contraire, le risque est grand (et les expériences des patients le confirment), qu’il lui préfère une personne en “bonne” santé, qui pourra (a priori) exercer ses missions sans risques et sans contrainte particulière…

Avant de souhaiter de nouvelles évolutions législatives, peut être serait-il bon de s’assurer que les textes actuels sont bien appliqués. L’interdiction de discrimination en raison de l’état de santé au travail en fait partie. Et pourtant…

D’après Daphnée Leportois, le Nouvel Observateur du 7 mars 2012 

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