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Chine : la plus grande banque de pièces de rechange du corps humain

1er juillet 2005, Le Point

Déjà entrée dans le club spatial, avide de transferts de technologie dans le nucléaire, la Chine travaille d’arrache-pied dans l’informatique et les biotechnologies et cherche à faire une percée dans le domaine hautement controversé des cellules souches.

« La Chine veut devenir le premier producteur mondial d’organes de remplacement », explique le docteur Marie-Pierre Van Hoecke, responsable du bureau du CNRS en Chine. Plusieurs programmes sont en cours, dans différents centres de recherche à Pékin, Shanghai ou Tianjin, et ces découvertes pourraient bien révolutionner la médecine moderne.

Pour en savoir plus, prenons le train pour Tianjin, le grand port de Pékin, à moins d’une heure de la capitale. Cette ancienne cité noire et industrieuse a incroyablement changé au cours des cinq dernières années, lorsque Teda (Tianjin Economic-Technological Development Area), sa ville nouvelle, a émergé des anciens marais salants…

A quelques kilomètres du vieux centre, dans la zone de haute technologie, se dresse depuis l’an dernier un énorme bâtiment : l’Union Stem Cell, lié à l’Académie médicale de Chine et au collège médical de Pékin. C’est là, dans les entrailles de ce paquebot de béton gris, que se trouve la plus grande banque de cellules souches du monde… 84 000 mètres carrés et une capacité pour 300 000 échantillons. Dans le sous-sol, une immense salle étroitement surveillée est occupée par des dizaines de congélateurs industriels. A l’intérieur, des éprouvettes spéciales contiennent des extraits de placenta et de cordons ombilicaux conservés à – 196 °C.

« Nous en avons maintenant plus de 40 000 », explique dans un français parfait le professeur Han Zhong Chao, qui dirige ce programme de recherche. Le principe de cette banque est simple. Les parents de nouveau-nés confient, via la maternité, le cordon ombilical et le placenta conservés à la naissance à la banque des cellules souches pour 5 000 yuans la première année (environ 500 euros), puis 500 yuans par an (50 euros). « C’est une sorte d’assurance-vie pour la famille, explique le professeur Han. En cas de grave maladie ou d’accident d’un membre de la famille, ils pourront récupérer ces matières précieuses qui permettront peut-être de le sauver. »

Pourquoi pas des cerveaux ? Car ces cellules souches sont capables de « régénérer » un organe malade en quelques jours. Une fois « mobilisées » et activées par le réseau sanguin, ces cellules souches sont réinjectées dans l’organe malade et le reconstituent comme neuf… Une découverte extraordinaire que les Chinois maîtrisent pour la reproduction des tissus vasculaires et qu’ils appliquent dans le traitement de certaines maladies comme l’artériosclérose. Les cellules souches injectées par exemple dans un pied malade permettent de reconstituer en moins de vingt jours de nouveaux vaisseaux qui résorbent très vite le problème et permettent au patient de remarcher normalement.

« Nous avons déjà expérimenté ce traitement sur plus de 500 malades depuis un an, explique le professeur Han Zhong Chao, avec un taux de réussite supérieur à 95 % ! Mais ce qui est encore plus excitant, poursuit-il, c’est que ce principe semble pouvoir s’appliquer à tous les organes et être utilisable pour lutter contre plusieurs maladies comme le diabète, mais aussi certains cancers et, en neurologie, la maladie d’Alzheimer et certaines paralysies. A terme, on devrait pouvoir reconstituer des foies, des coeurs, des reins, et pourquoi pas des yeux ou des cerveaux ! C’est un nouveau concept : la médecine régénératrice ! » s’enthousiasme le chercheur. A Shanghai, le professeur Zhu Jianhong développe ainsi un département de neurochirurgie à l’hôpital Huashan, de l’université Fudan.

C’est en France, où il a étudié de 1986 à 1997, d’abord à Brest, puis à Paris, à l’Institut des vaisseaux et du sang au côté du professeur Jacques Caen, que le professeur Han Zhong Chao a commencé à s’intéresser aux cellules souches. Mais les restrictions de la législation française, rendant impossibles les essais cliniques, et le manque d’argent dans les instituts de recherche l’ont incité à rentrer développer ses découvertes en Chine, avec l’aide de son ancien « patron », Jacques Caen, qui, à 78 ans, fait régulièrement la navette entre Paris et Tianjin ! Le professeur Han Zhong Chao s’est vu confier en 1997 l’Institut d’hématologie de Tianjin, qu’il a totalement métamorphosé, et a obtenu des autorités un premier budget de 5 millions de yuans (500 000 euros) pour démarrer sa recherche.

Le reste du montage financier est un exemple intéressant du pragmatisme chinois : la banque de cellules souches génère de l’argent que le professeur Han Zhong Chao réinvestit dans son programme de recherche fondamentale et dans la construction d’un hôpital de 200 lits qui sera spécialisé dans la transplantation cellulaire. Cet hôpital, situé juste à côté de la Banque des cellules souches, devrait être achevé fin 2005, et permettra au professeur Han Zhong Chao de contrôler les applications cliniques.

Une société de capital-risque de Shanghai a déjà investi 10 millions d’euros dans cet hôpital qui a encore besoin de financements. Alors, le professeur Han Zhong Chao a ouvert à Teda un centre national des produits cellulaires, Am Cell Gene, un laboratoire pharmaceutique dont la commercialisation des produits permettra d’ajouter des financements au programme de recherche et à l’hôpital. Il a confié Am Cell Gene au professeur Wang Fu-Sheng, qui a passé plus de quinze ans dans un institut de recherche en Arkansas (Etats-Unis) avant de revenir s’installer l’an dernier à Teda, séduit par la politique de « retour des cerveaux ».

Bien entendu, de nombreuses critiques accompagnent ces découvertes chinoises : à commencer par l’utilisation des tests sur animaux lors des programmes de recherche, et des applications cliniques qui paraissent bien rapides aux Occidentaux. Certains projets semblent étranges, comme ceux du professeur Sheng Huizhen, de Shanghai, qui, après avoir travaillé près de vingt ans à l’Institut de recherche de Boston, a développé à Shanghai un programme de recherche financé par la ville. Mme Sheng espérait développer des cellules « réparatrices » composées de cellules de lapin remplies de chromosomes humains… Ce sont finalement des chercheurs sud-coréens qui ont réussi à composer la première cellule embryonnaire de ce type, pour s’apercevoir qu’elle n’était pas utilisable.

Les scientifiques internationaux considèrent maintenant les recherches chinoises avec un intérêt particulier. Mais l’appréciation qui a le plus ravi les chercheurs chinois émanait des scientifiques britanniques, pères de Dolly, la première brebis clonée, considérés jusqu’alors comme les plus en pointe dans ce domaine…

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