bricoler, mais l’adn

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    triton
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    Reportage
    Biohackers : les bricoleurs d’ADN
    LE MONDE 2 | 04.09.09 | 14h26 • Mis à jour le 04.09.09 | 16h09

    En Californie, les biohackers ont lancé de front plusieurs projets. Josh Perfetto, 30 ans, petit brun calme et discret, a derrière lui une brillante carrière d’informaticien. Il vit avec son épouse dans une belle maison à Saratoga, à deux heures de San Francisco. En 2007, tout en travaillant à plein-temps, Josh avait décidé de se reconvertir dans le génie génétique. Son rêve : modifier une bactérie afin qu’elle produise un biocarburant de type éthanol, en ne consommant que de l’eau et la lumière du soleil.
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    Josh se met à étudier la biologie de façon intensive, seul, le soir et le week-end. Puis il loue un petit local dans un parc industriel et monte un labo rudimentaire : “J’ai acheté de l’équipement d’occasion, ça m’a coûté 20 000 dollars [14 000 euros].” Après des mois d’efforts, il réussit à produire un peu d’éthanol, mais ses coûts de revient sont trop élevés. Il décide malgré tout de suivre sa passion. Il quitte son emploi et monte une start-up de gestion d’annonces publicitaires sur Internet : “ça rapporte peu, mais ça ne me prend qu’une quinzaine d’heures par semaine, ça me laisse du temps pour mon projet de biocarburant.”

    Pourtant, faute d’argent, Josh doit abandonner son local. Il transporte chez lui tout son équipement, qui encombre désormais ses placards. Il hésite à remonter son labo dans son garage : “Ce type d’activité produit des fumées et des odeurs qui pourraient déranger les voisins, et aussi des déchets chimiques dont il faut se débarrasser proprement.” Le problème essentiel est bien sûr la bactérie elle-même : “Quand je modifie mes bactéries pour qu’elles produisent de l’éthanol, j’introduis également une seconde modification qui les rend résistantes aux antibiotiques. Puis j’injecte des antibiotiques dans leur bocal pour faire le tri : seules celles sur lesquelles la modification a réussi survivent.” Il se retrouve donc avec des stocks d’OGM résistants aux antibiotiques : “Je dois faire attention, car si ces organismes s’échappaient dans la nature, ils pourraient transmettre leur résistance à d’autres bactéries pathogènes, dangereuses pour l’homme.”

    Quand Josh découvre l’existence des DIYbio, il se joint à eux aussitôt, dans l’espoir de monter un labo collectif. Il fait la connaissance d’un militant très actif, Tito Jankowski, un grand blond athlétique de 22 ans. Tito, qui a grandi à Hawaï, vit à Sacramento, à deux heures de San Francisco, où il travaille pour une société d’audit chargée d’améliorer le fonctionnement de l’administration. Mais dès qu’il a un moment libre, il se consacre à sa nouvelle passion.

    “Design libre”

    Tito est convaincu que le biohacking deviendra rapidement un mouvement de masse si on propose au public des appareils à la fois pratiques, compacts et bon marché. Ils devront aussi être beaux, avec des formes et des couleurs harmonieuses – alors qu’aujourd’hui les appareils professionnels ont un aspect délibérément rébarbatif, comme s’ils avaient été conçus pour décourager les amateurs. Avec un copain resté à Hawaï, avec qui il communique par Internet, Tito a entrepris de fabriquer une boîte de séparation de l’ADN très design. Il a transformé la buanderie et le salon de son appartement en atelier, avec des scies, des étaux, des fers à souder et beaucoup de poussière. Après des mois de travail, il touche au but, son engin fonctionne : “Il reviendra à 200 dollars [140 euros], avec des performances supérieures à celles des machines existantes, qui coûtent vingt fois plus cher.” Déjà, Josh et Tito travaillent ensemble à la conception d’un appareil qui combinerait duplication, séparation et visualisation de l’ADN. Il serait commandé par un minimodule électronique très bon marché, conçu par des hackers informatiques européens et américains.

    Ils vont peut-être recevoir l’aide de Tim Heath, un quadragénaire de la Silicon Valley, spécialiste des logiciels libres. Après avoir rencontré par hasard des militants de DIYbio, Tim décide de s’initier à la génétique en leur compagnie : “Au début, j’étais un peu ridicule, je n’y arrivais pas. Puis j’ai compris que le fonctionnement d’une cellule ressemble à celui d’un ordinateur, ou l’inverse, et là tout est allé très vite. Le code du génome humain comporte trois milliards de paires de base. Or je travaille régulièrement sur des logiciels dont le code-source contient trois milliards d’octets. Ce volume de données ne me fait pas peur.”

    Les membres de DIYbio ont décidé de mettre leurs savoirs et leurs découvertes en commun. Ils ont repris à leur compte la philosophie de base des hackers informatiques, qui a donné naissance au mouvement mondial du logiciel libre : partage des connaissances, solidarité et travail en collaboration. Comme leurs aînés, les biohackers rejettent le concept de secret de fabrication, et refuseront de déposer des brevets ou des copyrights sur leurs inventions. Ils en laisseront certaines tomber dans le domaine public et protégeront les autres en utilisant les instruments juridiques inventés par les hackers dans les années 1990, tels que la “licence libre” ou le “copyleft” : n’importe qui a le droit de s’emparer d’un programme “libre” pour le modifier ou l’améliorer, à condition que les versions ultérieures soient, elles aussi, libres et ouvertes. Kay Aull a commencé à publier sur Internet ses notes de travail, pour éviter aux débutants d’avoir à refaire le même chemin. Tito Jankowski a créé une start-up pour exploiter son appareil mais, par ailleurs, il va publier ses plans sur Internet afin que d’autres puissent l’améliorer : “Après le logiciel libre, nous devons imposer le “design libre”. Et si un industriel chinois utilise mes plans pour fabriquer mon engin pour 3 dollars pièce, ce sera tant mieux. Le biohacking deviendra un hobby planétaire.”

    La “bioerreur”, scénario crédible

    Les biohackers se disent conscients des risques inhérents au génie génétique, même s’ils affirment qu’ils sont très gérables. Un petit groupe de militants de Boston a entrepris de rédiger et de diffuser un ensemble de règles de sécurité et de transparence à l’usage des débutants. Ils souhaitent éviter les accidents et aussi rassurer la population et les pouvoirs publics. Pour sa part, Kay Aull cherche un équilibre entre l’optimisme volontariste propre aux scientifiques et la perspective d’une catastrophe provoquée par un apprenti sorcier : “Le risque de “bioterreur” dont parlent les politiciens ne m’inquiète pas, c’est un fantasme. En revanche, la “bioerreur”, commise par quelqu’un qui croyait bien faire, est un scénario crédible.” A noter que DIYbio devrait rester un réseau informel, sans personnalité juridique. Si un de ses membres lâchait dans la nature un OGM nocif et se retrouvait devant la justice, le reste de la bande ne serait pas inquiété directement.

    A présent, Tito, Kay, Tim et les autres espèrent que, sous leur impulsion, des milliers d’autodidactes vont bientôt s’initier à la génétique dans leur garage ou leur chambre d’étudiant. En jouant sur leurs PC avec le code génétique des plantes, des animaux et même de l’homme, des jeunes surdoués feront des découvertes théoriques imprévues et iconoclastes. Ensuite, grâce aux nouveaux instruments de laboratoire en “design libre”, ils se livreront à toutes sortes de manipulations génétiques, hors de tout contrôle. Leur liberté d’imagination et leur fraîcheur d’esprit leur permettront de rivaliser avec les chercheurs des grands laboratoires, de plus en plus bridés par des impératifs commerciaux ou des contraintes juridiques et bureaucratiques.

    Pour attirer de nouvelles recrues au-delà du petit monde des hackers, les biomilitants californiens ont commencé à se faire connaître de la population de la région de San Francisco, très ouverte aux innovations. Ils participent à des salons professionnels, des conférences, des foires aux inventions. Ils envisagent de créer un logo et de confectionner des autocollants, des tee-shirts et des casquettes. Première victoire, ils ont attiré dans leur groupe quelques “amateurs purs”. Micah Zuorski, un viticulteur de la région, a tout à apprendre, mais il a envie de participer à ce qu’il considère comme la grande aventure du XXIe siècle : “Le génie génétique va révolutionner notre vie. Il est essentiel que ce savoir ne soit pas confisqué par l’Etat et les multinationales. Dans ce domaine comme dans les autres, il faut revenir aux racines du rêve américain, rendre le pouvoir au peuple.” Déjà, des écoliers de la Silicon Valley se sont abonnés au blog de DIYbio.
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    Yves Eudes

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