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Khalid : Le Maroc, ma dialyse, ma greffe et ma mère

La dialyse est un véritable calvaire. Un jour sur deux, debout à cinq heures du matin, peu importent les conditions climatiques… deux aiguilles grosses comme des pieux piquées dans le bras au point de le mutiler… Immobilisé et relié par des lignes pendant plus de quatre heures à une machine qui ne cesse de sonner, tout comme mes dix voisins dont les machines se touchent… supporter tout au long de la séance le bavardage et les histoires bidons des mamies !!! Un risque considérable de contamination, douleurs de tout genre, vomissements, chute de tension, crampes… cris des malades qui supportent mal leurs douleurs, télévisions qui hurlent, personnel qui crie… une ambiance morose, somme toute.

Après la séance de Dialyse, on se sent lessivé, anéanti, épuisé et trempé de sueur. On n’aspire plus qu’à dormir. Dés le premier repas, on recommence a compter, parce qu’un malade dialysé doit compter tout ce qu’il avale ! Combien de verres d’eau ou de tasses de café j’ai bu, combien d’oranges me reste-t-il à manger…

On nous conseille de bien manger et de bien nous nourrir pour résister à ce mal qui ronge, chaque jour davantage notre faible corps, hélas ! Comment faire quand on vous impose de manger sans sel, sans potassium, sans phosphore, sans protéine… Bref, un régime très sévère et trop compliqué au point qu’on n’arrive plus à savoir quoi manger ! Parfois on se demande a quoi bon s’attacher à une telle vie, quand le fait de boire un verre d’eau, qui est le geste le plus banal pour le commun des mortels, devient un sérieux problème.

Pour les vacances et les voyages, il ne faut pas espérer grand chose, surtout dans un pays comme le notre, où les centres d’hémodialyse restent un luxe limité aux grandes villes. Sur ce point, je garde un très mauvais souvenir, c’était le jour où j’ai fait les 800 Km reliant la ville d’Oujda à Ouarzazate via Errachidia et Goulmima… Quand j’y suis arrivé, grande a été ma surprise lorsque j’ai appris qu’il n’y avait pas de centre d’hémodialyse dans cette ville, et que le centre le plus proche se trouvait à 200 km de l’autre coté du Grand Atlas, à Marrakech ! Je me souviens également du mauvais accueil qui m’a été réservé par un médecin de la ville de Mohammedia, il m’a reproché d’avoir osé faire le déplacement et de lui avoir demandé de me laisser dialyser par ” ses machines ” !!

Après 3 ans de Dialyse, mon état de santé s’est considérablement détérioré. Les traces de la maladie deviennent de plus en plus visibles : visage pale a cause d’une anémie mal soignée (hémoglobine à 6g/dl), perte d’appétit, sensation de fatigue permanente et surtout un cœur qui menaçait de me lâcher à tout moment.

La mortalité cardiovasculaire est 10 à 20 fois plus élevée en dialyse par rapport à la population générale. En outre cette différence est plus importante chez les jeunes dialysés… Ceci suggère que les maladies cardiovasculaires se développent prématurément chez l’insuffisant rénal chronique, un dialysé de 25-34 ans présente un risque de mortalité équivalent à celui d’un sujet de 85 ans avec une fonction rénale normale. Devant une pareille situation, mon cardiologue est formel, il faut agir vite… La transplantation rénale – l’unique solution – s’impose. Il faut y penser sérieusement.

La transplantation rénale est considérée comme le meilleur traitement de l’insuffisance rénale chronique. Un énorme avantage pour le patient et une économie importante pour les organismes payeurs, elle est beaucoup moins chère au delà de la première année. Elle génère un coût médical 4 à 5 fois inférieur à celui qu’implique l’hémodialyse et elle offre au malade une qualité et une espérance de vie incomparables à celles qui lui sont proposées en dialyse.

Malheureusement on constate un manque flagrant d’information sur ce sujet. Les malades dans notre pays en savent très peu. J’estime que tout malade dialysé est un candidat potentiel à une greffe ; et à ce titre, il a le droit de recevoir une information complète et objective, ce qui est très loin d’être le cas dans notre pays.

Suivant le conseil de mon cardiologue, je me suis rendu à Casablanca pour rencontrer un médecin. En dix minutes et suite à cinq ou six questions, le verdict est tombé ! Le Pr. Fatihi, avec son aimable sourire, m’a annoncé : ” Monsieur, je ne vois aucun problème, en principe, vous êtes greffable “.

Difficile, voire impossible de décrire l’effet de cette phrase. Une immense sensation de bonheur m’a envahi, un grand sanglot d’extase s’est déversé dans tout mon corps et mon esprit. Je me voyais ressusciter. La vie m’a souri de nouveau. Cette phrase magique a mis fin à mille et une questions posées auparavant. Je ne savais même pas que ce genre d’opération chirurgicale existait et se faisait au Maroc. Par contre je savais que je n’avais aucune chance de tenter l’expérience à l’étranger à cause des frais trop élevées et qui dépassent mes moyens (plus de 70 000 euro en France).

Ce jeune médecin m’a gentiment accompagné au CHU Ibn Rochd où il m’a fait visiter le service P 31(service de néphrologie et d’hémodialyse). Il m’a confié à la sympathique Pr. Medkouri et sans perdre de temps, elle m’a inscrit sur la liste d’attente. J’ai laissé mes cordonnées et nous nous sommes donnés rendez-vous dans un mois pour entamer le processus des prélèvements et des analyses…

En sortant de l’hôpital, j’avais l’impression de voler et non pas de marcher. Les idées tournaient trop vite dans ma tête. Je ne me souviens pas comment j’ai traversé les Bd Abdel Moumen et Hassan II à pied. Oui en marchant ! Moi qui avais perdu l’habitude de marcher depuis longtemps à cause de la fatigue de mon corps anémique.

Je me suis trouvé devant l’océan. Je regardais la mer comme si c’était pour la 1ère fois. J’y suis resté des heures sans me rendre compte, j’ai beaucoup rêvé. Un grand espoir s’est ouvert devant moi, aussi grand que l’océan d’en face. J’ai retrouvé une raison sinon toutes les raisons pour vivre. J’ai rêvé d’une vie où je ne serai plus dépendant de la machine d’hémodialyse, d’une vie ou je pourrai boire à satiété, des litres de jus d’orange !! Je vous laisse imaginer combien ma frustration était grande quand on m’a interdit le jus d’orange, moi qui suis né dans une ferme d’orangeraie ! J’ai également rêvé de voyager, d’une grande évasion sans être obligé de ne passer que par les villes où il y a des centres d’hémodialyse. Cette petite tasse de café devant l’océan, bien que froide et de mauvaise qualité, je m’en souviendrai pour bien longtemps. Dans sa couleur noire, j’ai vu un grand espoir blanc, une nouvelle vie prometteuse sans douleurs ni contraintes, qui m’ouvrait largement les bras…

Quand je suis rentré à Oujda, ma mère, mon éventuel et unique donneur, était heureuse mais un peu hésitante sur l’idée de se faire opérer ici au Maroc et dans un hôpital public où les moyens sont limités. J’étais, à mon tour, très gêné parce que sur le plan éthique c’était insensé et trop osé de demander à quelqu’un de vous céder un organe de son corps. Je me suis demandé au nom de quelle morale je pouvais me permettre de la faire souffrir, lui couper la chaire, lui ôter son rein. Son altruisme et son abnégation m’ont donné un sentiment de culpabilité, mais elle a toujours su me réconforter en me répondant joliment que si Dieu nous a crées avec deux reins et que si on pouvait vivre avec un seul, c’est parce que le deuxième est destiné à une autre personne. Elle n’a jamais cessé de me proposer le don de son rein, dès mes premières séances de dialyses. Elle a toujours insisté pour que je fasse plus d’effort pour me renseigner sur la transplantation rénale à partir de donneur vivant. Moi, je n’y croyais pas beaucoup, je lui avais plusieurs fois demandé d’oublier l’idée, mais c’était sans compter sur son entêtement et sa vive volonté de mettre fin à mes souffrances.

Un beau jour le téléphone sonne, de l’autre bout du fil c’était bien le CHU de Casablanca. Le coup de fil tant attendu était là, mes médecins me demandaient de venir en compagnie de ma ” donneuse ” pour commencer le processus des analyses et des examens.

Arrivés au P31 (service de néphrologie) nous sommes pris en charge par l’équipe médicale du service. Je profite de cette occasion pour saluer chaleureusement ses membres pour leur disponibilité, leur dévouement et leur abnégation.
Les événements s’enchaînent avec une grande vitesse… consultations diverses, examens, contrôles, radios, analyses de tout genre. Les résultats des examens – Dieu merci – sont bons, jusque là, en principe rien n’empêche cette greffe, cette délivrance dont j’ai tant rêvée. Effectivement, le jour ” j ” est décidé : ce sera le 18 décembre 2004.

Deux semaines avant le nouvel an, j’ai eu le plus beau cadeau de Noël de ma vie : un rein, l’équivalent de la vie pour moi. Ma mère m’a fait naître pour une deuxième fois… Elle m’a confié une partie de son corps, on forme désormais un seul être. Cette expérience a bousculé mon identité. C’était à la limite du pensable. J’effleure cette partie de ma mère qui vit en moi et grâce à laquelle j’ai repris le goût de la vie. J’admire la vue de ces pipis en or !! Signe que mon greffon est fonctionnel. Je ne la remercierai jamais assez.

Deux semaines après l’intervention chirurgicale, ma créatinine était toujours élevée (23 mg/l) puis elle est restée stationnaire à 20 (normal entre 7 et 13mg/l).une période de doutes et de craintes s’est installée de nouveau et les idées les plus noires sont apparues. J’ai commencé à lire le doute dans les yeux du staff médical. Je suis devenu sensible à tous les gestes du Pr Medkouri. J’interprétais chaque mot, chaque geste comme une préparation psychologique pour le rejet qui plane au-dessus de moi et qui se fait de plus en plus sentir.

Théoriquement, tout devrait bien se passer parce que les greffes de donneurs vivants, même non apparentés et sans compatibilité immunologique donnent de bons résultats, globalement supérieurs à ceux obtenus avec des greffes cadavériques même les mieux apparentés sur le plan HLA avec le receveur. En plus tous nos examens étaient bons… Les médecins étaient optimistes mais, au fait, le risque est toujours là, la greffe, bien qu’elle soit un geste maîtrisé aujourd’hui avec les traitements anti-rejet de plus en plus efficaces, reste cependant une aventure aux conséquences imprévisibles.

Et puis est venu le jour où on m’a annoncé le résultat de ma biopsie. Il s’agissait bien d’un rejet. Le mot que je haie le plus au monde et dont j’ai beau évité d’entendre parler, je dois désormais vivre avec. J’ai été assommé, abasourdi par la nouvelle. Toute la belle vie promise et les belles choses dont j’avais rêvées se sont écroulées.

Affecté et angoissé, j’ai passé trois jours sans fermer l’œil, allongé sur mon lit. Le jour, je m’amusais à compter les feuilles de l’arbre d’en face… La nuit, je regardais le néant ! Je scrutais la dégradation de la couleur du ciel. Les premières lueurs de l’aube, l’appel de la prière du Muzzen vers 4h, Le bruit du 1er train (Bidaoui) à 5h, l’arrivée des femmes de ménage à 7h, et finalement, la rentrée triomphante de mon médecin à 8h pour me demander gentiment si j’ai passé une bonne nuit et à qui je répondais ” oui Docteur, excellente même !!! “.

Le renforcement des soins et de surveillance et l’augmentation du dosage des médicaments pour sauver mon greffon ont augmenté la pression sur mon état d’esprit et mon moral fragilisé et terrorisé par la crainte de l’échec. Heureusement que Pr Ramdani, Pr Medkouri et son équipe ont su me faire surmonter cette période difficile. ils m’ont fait comprendre que ce n’était pas aussi grave que ça et que c’était un rejet aigu et non pas chronique, et que ce genre de rejet arrive assez souvent au début des greffes. Tout cela m’a redonné confiance et a atténué mes suspicions et mes doutes.

Après un mois et demi d’hospitalisation, je suis rentré chez moi. Mon état de santé s’est beaucoup amélioré. Ma créatinine est stable bien que relativement élevée (16mg/l). Bref, mon greffon est fonctionnel et j’ai pris mon indépendance vis-à-vis de la machine d’hémodialyse !

Aujourd’hui, et après deux ans, je porte ce témoignage pour remercier la générosité et l’altruisme de ma mère et de confirmer d’être à la hauteur du don qui m’a été fait car je suis le gardien de son rein et j’en suis responsable…
Je veux également attirer l’attention du public, des pouvoirs publics et du monde médical sur la vie difficile des insuffisants rénaux, cette maladie qui va devenir un problème majeur de société avec les 3000 nouveaux malades enregistrés chaque année dans notre pays.

Il faut promouvoir la prévention de l’I.R.C sachant que 10% des insuffisants rénaux pourraient être guéris s’ils étaient dépistés assez tôt et 30% pourraient retarder le passage à la dialyse jusqu’à 10 ans.

Je veux également attirer l’attention des familles des malades et des pouvoirs publics sur la greffe rénale comme meilleur remède qui permet aux malades de retrouver leur autonomie et de mener une vie normale sans aucune contrainte sauf la prise de médicament anti-rejet. La greffe fait appel à un sentiment intrinsèquement beau qui est la solidarité ; il faut manifester plus de volonté de la part des parents et des cousins des malades. Il faut qu’ils sachent qu’ils ne courent aucun risque en faisant don de leur rein.

Malheureusement notre pays cumule un grand retard dans le nombre de greffes effectués (environs 100 depuis 20 ans) c’est l’équivalent de la moitié de nombre de greffes effectués en une seule année en France.

Je veux également témoigner ma reconnaissance et mes remerciements pour tous ceux qui m’ont aidé et ont beaucoup fait pour que ma greffe réussisse (mon père, mes frères et soeurs, mes cousins et cousines, mes amis…).
Toute l’équipe médicale du service de néphrologie de CHU ibn Rochd, Pr Ghislaine Medkouri, .Pr Ramdani. Pr Zayed.Pr.Hachim. Pr Joual.Pr. Fihri et tous les médecins résidents du P31.
Et de Oujda, Dr Faraj (à Berkane actuellement). Dr Hormi. Dr Brahimi Ali. Dr Chtayti. Dr El Midioni.

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2 Commentaires

  • Bonsoir khalid, j’ai trouvé ton histoire émouvante et plein d’espoir, ta mère m’a beaucoup touchée, que Dieu la protège.Je te souhaite que ce bohneur se prolonge le plus longtemps possible.

  • Bonsoir Khalid, j’espère que tu vas bien et que, malgré l’ancienneté de ton témoignage, mon message te parviendra . J’ai donné un rein à mon fils en 2007 . 13 ans après, il se porte bien et moi également . J’ai même effectué avec un autre cycliste l’année dernière,à l’âge de 68 ans un périple à vélo à partir de la France jusqu’au Maroc . J’ai voulu témoigner de l’inconséquence en termes de santé du don d’un rein sur le donneur en parcourant à vélo 2400km en 24 jours . Arrivé là-bas, un jeune Marocain résidant à Sefrou et suivant actuellement une dialyse s’est rapproché de moi . Sa mère étant donneuse potentielle,il m’a fait part (par interprète interposé) de ces soucis de santé . Pourrais-tu me donner toutes les indications (lieu de greffe ,financement possible) qui pourraient l’aider dans sa situation ?
    D’avance, je te remercie infiniment.
    JLuc Tèl: 06 87 96 28 66

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